Non, pas le barbecue! Ne mentionnons même pas cette odeur prégnante qui s’accroche aux papilles comme aux vêtements après les grillades familiales en plein air. Ce rituel réputé tribal garde certes son charme estival, mais les nouvelles saveurs fumées qui s’imposent actuellement relèvent d’une toute autre délicatesse.

Toujours plus souvent, sur les tables les plus raffinées, les notes de feu modulent la saveur du beurre ou de l’œuf, les imprégnant des brumes de foin, de genévrier ou de sapin – souvent local. Et ces épices, alors! Au mythique Hôtel de Ville de Crissier, par exemple, Franck Giovannini sert ces jours-ci son filet de bœuf des Préalpes nuancé de paprika fumé. Et que dire de ces cocktails fumés qui enrobent les boissons d’un nuage exhalé par un doux feu de copeaux, herbes ou épices?

Peut-être doit-on – en partie, du moins – cette quête de fumeroles précieuses à la législation européenne de 2024, suivie en Suisse aussi, qui retire progressivement du marché les arômes de fumée artificiels, suspectés de génotoxicité. Exit donc les sauces, soupes et autres fromages aux effluves industrielles. Sus à toutes ces fautes de goût qui nous abîment les papilles! Place au feu vrai de vrai, mais travaillé avec maestria. Les fumoirs domestiques viennent certes allonger la liste des accessoires de cuisine réputés indispensables, mais les épicuriens raisonnables préféreront laisser aux pros l’art de la fumaison. D’ailleurs, les adresses hype qui manient le foyer ouvert se multiplient, à l’instar de la Neue Taverne à Zurich (et ses aubergines fumées) ou du Smok’ed, à Genève,  qui clame la gloire de son brisket de bœuf «tout droit sorti du fumoir».

Tout en haut de l’Olympe gastronomique, le plus ancestral des modes de cuisson a aussi acquis des lettres de noblesse et de subtilité, s’imposant comme un nouveau classique. Tout le monde n’est pas Francis Mallmann, qui peaufine ses arômes fumés dans ce célèbre «Dôme de feu» où il suspend viandes et légumes, au sein de son restaurant provençal Château La Coste. Mais les plus fameux pontes de la gourmandises chérissent aussi brasero et barbecue japonais, comme Anne-Sophie Pic, au Beau-Rivage de Lausanne, avec son omble chevalier cuit à la flamme, ou Stéphane Decotterd, dans son nid d’aigle à Glion, avec son sandre du lac Majeur légèrement fumé. Fumée noire, fumée blanche, habemus faim.