Expression du bonheur et de l’aisance, l’adage «comme un poisson dans l’eau» s’applique peut-être au mérou en mer, mais s’avère en perte de pertinence dans le monde si exigeant de la gastronomie. Une nouvelle pratique est en train de s’imposer, inspirée de la viande: le dry aging implique de laisser la bête maturer suspendue à un crochet, dans une armoire-vitrine climatisée, mais surtout – surtout! – à sec. Loin de toute glace, de grâce!
A Paris, dans l’historique marché Saint-Germain, la poissonnerie Viot se fait un nom avec ce mode de conservation, qui évite de gorger l’animal au moment du nettoyage, de l’écaillage, du filtrage… ou de l’entreposage. En Suisse, la maison Bianchi, le plus grand grossiste de poissons et fruits de mer, voit des chefs pointus, comme Mitja Birlo dans son restaurant zurichois The Counter, s’essayer à jouer avec les temps et les températures. «Chacun veut apporter sa touche particulière, relève Luca Bianchi, le CEO. Et les poissons un peu plus gras conviennent, comme la sériole, le maquereau, le saumon ou le thon.»
Outre l’économie d’eau ainsi réalisée et la prolongation du temps de conservation, l’avantage est surtout gustatif: la chair se densifie, gagne en subtilité et tendreté. Le pionnier de cette approche sèche et révolutionnaire du poisson s’appelle Josh Niland. Ce jeune mais grand chef australien passe pour le maestro du produit marin, qu’il apprête «gill-to-fin», de la branchie à la nageoire, dans ses adresses raffinées (le Fysh à Singapour et le fameux San Peter qui rouvre cet été au sein du Grand National Hotel, à Sydney), comme dans sa «boucherie à poissons».
Le trentenaire se déclare en croisade pour une valorisation maximale du poisson, qui s’améliore encore au fil des jours plutôt que de se détériorer – et sans la moindre odeur, s’il vous plaît! Son merlan est à son meilleur à sept jours de sa sortie de mer, tandis que le thon se savoure… à trois semaines. Son credo? «La saveur est plus importante que la fraîcheur.» Le visionnaire détaille ses recettes et sa philosophie sur l’assiette, mais aussi en livres (Cuisinier le poisson, en 2019 , Take one fish, en 2021 et Fish Butchery, en 2023 – pas encore traduits). Avis aux aventureux qui entendent installer un climatiseur à poissons à la place de l’humidor à cigares…