L'artiste James Turrell invite la lumière et la couleur dans des lieux insolites. Nos favoris.
1. Autriche
Au sommet, loin de tout
Le lieu Voici une butte ronde, presque un cône parfait, posé à 1780 mètres d’altitude. En randonnée dans la région, James Turrell aurait été impressionné par le panorama montagneux de la station de Lech, dans le massif de l’Arlberg. L’air y est cristallin et la nuit intensément noire, puisque les sommets voisins protègent des interférences lumineuses.
L’installation Comme une chapelle sur la montagne… le «Skyspace Lech» se fond dans le paysage, bâti sous la butte et accessible par un petit tunnel. Il vibre de lumière naturelle de jour comme de nuit et s’anime d’une mise en lumière artistique de 50 minutes au lever et coucher du soleil
Le petit plaisir en plus La région est décidément portée sur la culture… En 2010 déjà, le Musée d’art de Bregenz a installé 100 (!) figures métalliques de taille humaine sur les coteaux, dans un projet nommé «Horizon Field», par le sculpteur anglais Antony Gormley. Hélas, il n’en reste qu’une: qui va la trouver?
Vallon Tannegg, dans les hauts de Lech en Arlberg, ouvert de 12 h à 20 h en hiver, de 9 h à 18 h en été.
2. Norvège
Sous terre, dans un parc
Le lieu Sur une colline surplombant Oslo, le collectionneur d’art et philanthrope Christian Ringnes a restauré, en 2013, un parc de 25 hectares. Il y a placé des œuvres signées des plus grands noms contemporains (Marina Abramovic, Jenny Holzer, James Turrell), mais aussi quelques Rodin, Louise Bourgeois et Maillol. Cette collection en pleine végétation est accessible à tous, 24 heures sur 24.
L’installation James Turrell a investi l’ancien réservoir d’eau, pour une réflexion sur les couleurs dans notre perception de l’espace: les murs reculent et la pièce semble infinie. Cette œuvre, «Ganzfeld: double vision», est complétée par un skyspace nommé «The Colour Beneath», de conception plus classique, ouvert sur le ciel. Au pays des aurores boréales, ce dialogue entre la nature et l’illusion est d’autant plus fascinant.
Le petit plaisir en plus Dès le printemps 2020, le visiteur pourra lier cette visite à celle du nouveau musée Munch. Une télécabine est prévue…
Parc Ekeberg, Kongsveien 23, Oslo, l’installation de Turrell est ouverte de 11 h à 16 h (pause à midi), entrée gratuite.
3. Argentine
La lumière et le vin
Le lieu Le domaine viticole Colomé appartient aux plus élevés du monde, entre 2300 et 3111 m d’altitude. Fondé en 1831, il est aussi le plus ancien toujours en activité sur les hauts plateaux des Andes argentines, réputé pour ses vins premium. Les célèbres entrepreneurs viticoles suisses, Ursula et Donald Hess l’ont acquis en 1998. Fervents collectionneurs d’art contemporain, ils y ont ouvert, en 2009, un véritable temple consacré à James Turrell.
L’installation Sur plus de 1700 m2, neuf chambres illuminées, reliées entre elles par un tunnel, mettent en scène 50 ans de la carrière de James Turrell – qui a lui-même dessiné ce musée unique. Un caléidoscope technicolore à en perdre le sens de l’espace, du temps.
Le petit plaisir en plus Aussi sis sur le domaine, le boutique-hôtel Estancia Colomé propose 9 chambres élégantes ouvertes sur la nature. Les couchers du soleil y sont mémorables, un verre de la fameuse cuvée Altura Maxima à la main.
Bodega et Estancia Colomé, dès 200 fr. la nuit. Ruta Prov. 53 km 20, Molinos, Salta, bodegacolome.com
4. Chine
Un temple sinon rien
Le lieu Près de la Cite interdite, au cœur de Pékin, le temple Dong Jingyuan connaît une histoire bouddhiste de plus de 600 ans. Il vient d’être minutieusement restauré et transformé en un haut lieu culturel. L’ensemble, alliant éléments historiques protégés et architecture contemporaine, se nomme Temple et propose un ambitieux programme d’expositions
L’expérience Dans le skyspace nommé «Gathered Sky» (sobre cube, sa seule œuvre en Chine), James Turrell propose au visiteur de s’étendre
sur une natte, nuque sur un coussin, et de s’envoler une heure dans le ciel pékinois. Sur fond musical… parfois chant d’oiseau.
Le petit plaisir en plus Le complexe culturel compte aussi un salon de thé qui officie comme un concept store artistique et un restaurant fin, avec vue sur les cascades de toits anciens. Une bulle de paix et de gastronomie au centre de la mégapole fébrile.
Temple, Dongcheng District, Pékin, «Gathered Sky» est ouvert du jeudi au lundi, pour le coucher du soleil, env. 20 fr.
5. USA
L’utopie dans le désert
Le lieu En plein désert de l’Arizona, dans la région dite «Painted Desert», s’élève le cratère d’un volcan éteint. Au début des années 1970, James Turrell y a passé une nuit à la belle étoile et n’a eu cesse, depuis, d’y acquérir du terrain. Il érige là une sorte de cité à moitié enterrée, qui offre des perspectives vertigineuses
L’installation C’est le chef-d’œuvre de James Turrell, sa mission vitale, qui incite à la contemplation comme à l’introspection, dans un lieu où la nuit est intense. La bouche du cratère a été remodelée et, une fois terminé, le site sera articulé sur 21 capsules pour suivre l’évolution de la lumière, de jour comme de nuit. Moment culminant: le solstice d’hiver.
Le petit plaisir en plus En début d’année, Kanye West a fait don de 10 millions de dollars pour que soit (enfin!) achevée la construction. Il sort d’ailleurs un film où il joue sur le site («Jesus is King»). Si tout va bien, le public devrait être admis dans ce haut lieu de la poésie, de l’astronomie et de la géologie d’ici à trois ans environ. On promet un restaurant, ainsi qu’un bain de lumière…
Roden Crater, à Flagstaff, Arizona, rodencrater.com
6. Japon
Pause méditative
Le lieu Ce pavillon de bois à l’architecture traditionnelle n’est pas vraiment un hôtel. Plutôt un lieu de méditation et une œuvre d’art, que James Turrell a construit en 2000 en hommage à l’essai «In Praise of Shadows» de Junichiro Tanizaki. La «house of Light», Maison de lumière, est sise près de la ville de Tokamachi, réputée pour ses hivers rigoureux – ce qui explique l’escalier d’accès, qui élève la maison de près de 3 mètres au-dessus du niveau du sol.
L’installation Il s’agit d’harmoniser l’esthétique japonaise de la pénombre à la couleur qui modifie le regard (comme cette fibre optique qui teinte l’eau du bain). La maison est animée par une chorégraphie lumineuse, au soleil levant et couchant. Le toit de la pièce centrale baptisée «Outside In» est rétractable, ce qui permet – selon la saison – de baigner dans la lumière… ou dans la bourrasque de neige.
Le petit plaisir en plus Le concept inclut l’idée du partage avec d’autres voyageurs, ce qui se traduit aussi par un repas commun, livré par un traiteur.
Hikari No Yakata, nuit dès 230 fr. (sur réservation), visitable de jour entre 11 h 30 et 15 h, hikarinoyakata.com
7. Suisse
Un hôtel à part
Le lieu Perché sur un belvédère dans le somptueux parc national de l’Engadine, l’Hôtel Castell, construit au début du siècle dernier, a été entièrement rénové, pour allier le charme des stucs à un ameublement très design. De multiples artistes ont apporté leur touche à l’ensemble, comme Pipilotti Rist, qui a mis en scène le Red Bar. Le propriétaire des lieux, Ruedi Bechtler, est un grand amateur d’art contemporain et sa collection, visible sur place, jouit d’une réputation mondiale.
L’installation C’est un cylindre ouvert sur le ciel… James Turrell propose, avec «Skyspace Piz Utèr», une tour que l’on dirait ancienne, en pierres sèches. On y accède, par un chemin méditatif, puis on s’installe sur un banc, les yeux levés. Outre le ciel, des ouvertures latérales cadrent le paysage de mélèzes sous la neige.
Le petit plaisir en plus En plus du ski, les romantiques peuvent espérer un tour féerique en patins sous la neige, car le château dispose de sa propre patinoire.
Hôtel Castell, Zuoz, dès 225 fr. la nuit, «Art tour» guidé tous les jeudis à 17 h (sur réservation), hotelcastell.ch
8. USA
La serre radieuse
Le lieu Voici un jardin botanique comme beaucoup d’autres, fier de sa collection de conifères et plantes tropicales, de ses lacs, de ses cours publics de maraîchage. Mais il y a plus: la ville de Columbus, dans l’Ohio, a récemment beaucoup investi dans ce joyau végétal, pour en faire un lieu de rencontre et un centre culturel, avec diverses interventions d’artistes. Ou comment inscrire un jardin construit en 1895 sur l’itinéraire rêvé des amateurs d’art contemporain…
L’installation L’illumination de la serre d’origine par James Turrell, dès 2008, représente la face la plus flamboyante de cette nouvelle ambition du parc. La structure victorienne est mise en valeur par un extraordinaire ballet de lumière, dansé par 7000 leds. L’œuvre s’appelle «Light Raiment II».
Le petit plaisir en plus La terrasse de la serre John E. Wolfe Palm house accueille souvent des concerts en plein air.
Franklin Park Conservatory and Botanical Gardens, Columbus, Ohio, de 10 h à 17 h. fpconservatory.org
9. Allemagne
Chapelle ardente
Le lieu Les tombes du cimetière de Dorotheenstadt, dans le quartier de Mitte, à Berlin, racontent l’histoire allemande: le dramaturge Bertolt Brecht, le philosophe Georg Wilhelm Friedrich Hegel, la révolutionnaire Rosa Luxembourg… Après les bombardements à la fin de la guerre, la chapelle funéraire, construite en 1928, a été rénovée en lignes très sobres et mise en lumière.
L’installation L’éclairage artistique de la chapelle par James Turrell se pose en référence à la Bible, avec l’idée d’un Dieu source de lumière. Onze ambiances colorées successives emplissent l’espace, jusqu’à faire disparaître la sensation des murs, de l’architecture.
Le petit plaisir en plus Ceux qui comprennent l’allemand pourront assister à des lectures «In der Farbe gehen» (allons dans la couleur) régulièrement organisées.
Chapelle du cimetière de Dorotheenstadt, Chausseestraße 126, Berlin. Visites guidées seulement (10 euros), du vendredi au lundi, au coucher du soleil, evfbs.de
10. Grèce
Le soleil encore et toujours
Le lieu Ce complexe hôtelier exceptionnel appartient à la chaîne Aman, ce qui le situe d’emblée à une place de choix sur la carte du luxe. Perché sur un éperon rocheux du Péloponnèse, près de la ville de Porto Heli, ruines antiques à proximité, le site offre une vue à 360 degrés sur les oliviers, la mer, les îles.
L’installation C’est dans la villa numéro 31 que ça se passe! Après avoir noyé leurs yeux dans les eaux limpides de la mer Egée ou de leur piscine privée de 22 mètres, les heureux locataires de la villa peuvent plonger leur regard dans le ciel du Péloponnèse, tel que cadré par l’installation «Sky Plain»: un pavillon cubique de 6 mètres sur 6, avec une vaste ouverture zénithale. James Turrell a conçu là un espace privé de marbre sombre, de paix et d’intimité avec les étoiles, comme la touche de luxe ultime.
Le petit plaisir en plus L’expérience de ce skyspace, le seul en région méditerranéenne, est parfois ouverte aux autres hôtes de l’Amanzoe, comme apothéose d’un dîner individuel organisé en plein air.
Amanzoe Hotel resort, dès 2600 fr. pour la villa 31, Argolida, Grèce. aman.com/resorts/amanzoe
Ce qui m’intéresse, c’est de lier les choses que l’on voit à celles que l’on voit les yeux fermés.
James Turrell et ses voyages lumineux
Si les œuvres de James Turrell font l’objet d’un tel engouement, c’est que l’expérience lumineuse proposée est bouleversante pour tous.
Par-delà les cultures, les générations, l’érudition, les participants vivent cette plongée chromatique de manière intime, comme une méditation. Depuis les années 1960, l’artiste américain s’intéresse aux sensations induites par la lumière, dans des mises en scène intangibles. Sa série la plus célèbre est celle des «skyspaces», soit des pièces dépouillées avec ouverture zénithale. On y entre comme dans une église, pour se perdre dans la profondeur du ciel ainsi cadré. L’expérience se vit au naturel ou, le plus souvent, dans le jeu ultrasophistiqué des leds de couleur qui soulignent – ou brouillent – la perception.
Le principe peut sembler simple, il ne l’est pas. L’installation est toujours minutieusement pensée pour faire ressortir les particularités de son lieu d’implantation. Mais chaque visiteur plonge surtout en soi-même. «Mon travail n’a ni objet, ni image, ni focus, explique James Turrell, alors que regarde-t-on? On se regarde regarder. Ce qui m’importe, c’est de créer une expérience de pensée sans parole.»
Agé de 76 ans, l’artiste voit ses œuvres exposées dans tous les grands musées, mais il s’évade souvent du cadre institutionnel pour des expériences insolites, en lien avec la nature ou une architecture spécifique. Sa passion de la lumière date de sa sortie de prison en 1967 (pour activisme antimilitariste), où il a été détenu en isolation et dans l’obscurité. On retrouve actuellement quelques 80 skyspaces dans 29 pays, mais le Roden Crater, dans le désert de l’Arizona, est sans conteste son chef-d’œuvre, peaufiné depuis 40 ans. Encore un peu de patience…