Né en 1848, c'est simplement l'un des plus anciens opticiens de Suisse. Aujourd'hui encore, ses lunettes en corne sont fabriquées à la main, en Argovie.

Par la fenêtre, le regard se pose sur les champs et les pâturages, à perte de vue. On arrive aisément à imaginer un buffle indien se plaire ici, presque en rase campagne, entre les forêts de Goffersberg et la réserve naturelle de l’Eichstelweiher. L’Inde? Des buffles d’eau? En Argovie?! Oui, il existe bel et bien un lien étroit entre la basse vallée du Bünz et le sous-continent – un lien postal tout du moins. Des colis arrivent en effet régulièrement dans cette petite maison, proche de la gare de Hendschiken. Leur contenu: des plaques de corne provenant de buffles d’Inde.

Les plaques de corne proviennent de buffles d’Inde.

Ces pièces venues de l’autre bout du monde ou presque vont être transformées en lunettes pour le compte de l’opticien Zwicker, basé à Zurich. Pas de délicates montures à la Harry Potter qui se feraient presque invisibles sur le visage, mais de véritables statement pieces. Des modèles expressifs, posés sur le nez de personnes prêtes à attirer tous les regards. «Nos clients ne veulent pas du mainstream. Ils veulent quelque chose d’individuel, de fabriqué à la main», explique Daniel Halder. Avec ses deux sœurs, Nathalie et Christine, cet homme de 52 ans dirige le magasin d’optique situé près de la Paradeplatz.

Depuis 2015, l’entreprise familiale fait fabriquer sa propre ligne – Zwicker Horn – par l’atelier de corne Medart. Avec leur équipe, les deux propriétaires, Nicolas Kunz et Sergio Pasinelli, fabriquent exclusivement des lunettes à partir de ce matériau naturel. La question fuse: est-ce que les buffles souffrent quand leur corne est prélevée? «Ne vous inquiétez pas, répond Nicolas Kunz en riant, les cornes sont des «déchets». De plus, la corne est bien plus durable que le plastique. On peut la réparer ou la polir si les lunettes deviennent ternes.»

Les dimensions du modèle sont transmises numériquement.

La dernière collection Zwicker Horn a été créée sur le bureau de Franziska Wehrli, designer maison et opticienne. «Ma fille est fan d’animation. Je me suis inspirée de certaines de ces formes des années 1960», explique-t-elle, avant d’ajouter: «les meilleures idées me viennent en vacances.» Après avoir esquissé ses dessins au crayon, elle les découpe sur du papier cartonné afin de visualiser leur effet sur le visage. Ensuite, les modèles sont dessinés numériquement et les mesures sont envoyées à l’atelier de corne argovien.

Un travail de haute précision

Chaque monture est fabriquée à partir d’une plaque de corne de 6,5 millimètres d’épaisseur. «Les cornes de bœufs suisses ne conviennent malheureusement pas à cet usage, car elles sont trop poreuses», explique Sergio Pasinelli. La plaque est d’abord fixée dans la fraiseuse. Sur la base des données enregistrées, l’outil découpe le matériau et en dégage la forme. Les scories atterrissent dans un bac, car, comme le souligne Nicolas Kunz, «elles font un super engrais. Les jardiniers amateurs viennent régulièrement les chercher chez nous, à l’atelier.» 

La monture prend forme avec la fraiseuse.

Dès que la forme a été fraisée, les bords sont lissés à la main sur la ponceuse et les parties rugueuses sont polies avec du papier de verre. L’incision faite pour y poser la charnière est repercée, puis cette dernière est mise en place. Commence alors le traitement «bien-être» de la monture: les lunettes sont enduites de graisse à traire et chauffées à 200 degrés Celsius pour pouvoir être légèrement bombées. De la même manière, les branches sont mises en forme puis fixées au reste de la monture, et finalement poncées afin qu’elles se replient proprement. Pour finir, on procède à la «signature»: les lunettes sont gravées au laser.

Chauffées, les branches sont ensuite mises en forme.

Fondé en 1848 par l’opticien et graveur Mathias Jäggli, Zwicker est le plus ancien magasin d’optique de Zurich. Il y a trente ans, le père de Daniel Halder a racheté l’entreprise familiale au fils de Mathias Jäggli et l’a dirigée jusqu’à ce que ses propres enfants reprennent le flambeau. A l’occasion de son 175e anniversaire, fin 2023, le magasin situé dans une ancienne poste, où arrivaient autrefois les calèches de Milan et de Paris, a été modernisé et agrandi.

La monture est poncée à la main.

Depuis que des célébrités comme l’écrivain Hermann Hesse se sont fait fabriquer leurs lunettes de vue chez Zwicker, la famille reste très attachée à la culture: elle fournit également des lunettes au Schauspielhaus de Zurich. Quel autre illustre nez Daniel Halder aimerait-il anoblir avec des lunettes faites maison? Il sourit: «Elton John est un fan absolu des lunettes. S’il venait à Zurich pour acheter une de nos paires de lunettes, je serais très flatté.» 

Daniel Halder

Cet homme de 52 ans a grandi à Nieder-weningen (ZH) et a étudié les sciences de l’environnement à l’EPFZ. Il a ensuite travaillé comme conseiller en entreprise chez McKinsey, puis dans le marketing et la distribution auprès d’American Express.
En tant que CEO de l’opticien Zwicker, il représente, avec ses deux sœurs, la troisième génération à diriger l’entreprise familiale.
www.optikerzwicker.ch