Le célèbre architecte, moitié du binôme Herzog & de Meuron, évoque ses passions et sa ville de coeur, Bâle.

Jacques Herzog ne s’arrête jamais. Fondateur (en 1978!) de l’étude d’architecture Herzog & de Meuron avec son complice de toujours, Pierre de Meuron, il est à l’origine de certains des bâtiments les plus iconiques du monde – du stade Nid d’oiseau, à Pékin, aux Roche Towers de Bâle. Lui et ses équipes ont aussi conçu les quartiers généraux de la banque Lombard Odier, qui ouvriront en 2025 à Genève. Dans un registre plus personnel, Jacques Herzog vient de dévoiler «son» bar à cigare, salon intimiste lové au cœur de l’hôtel Trois Rois de Bâle.

Vous dites que ce bar fait partie de votre sphère intime, pourquoi?

Parce que je n’habite pas loin d’ici, et ce bar « The Council » (photo) en fait presque un projet égoïste ! Plus sérieusement, on parle beaucoup maintenant du concept – autant sociologique qu’urbanistique – de « Ten minutes city », soit le fait d’avoir quasiment tout à proximité. On en parle à Paris, à New York, on en parle surtout dans les grandes mégapoles , là où il est devenu vraiment pénible de bouger. En Suisse, cette idée est devenue importante, surtout dans la conception de nouveaux quartiers. Ne pas seulement avoir des logements, mais aussi offrir des places de travail, des restaurants, des boulangeries, des commerces de proximité. Lorsque l’on voyage autour du monde, cela se voit beaucoup : cette diversité disparaît dans les villages et les petites villes. C’est flagrant par exemple, en France, où il n’y a quasiment plus rien en dehors des grands centres urbains. C’est un véritable luxe que de trouver des choses dans son quartier, proche de sa maison.

Ce espace se veut comme un salon dévolu au cigare… Vous appréciez le cigare?

Je ne suis pas fumeur, mais pour le cigare, c’est différent. Un peu comme un repas dans un restaurant étoilé ou la dégustation d’un grand vin. Je n’ai jamais fumé de cigarettes, celles que l’on fume plus par nervosité ou par habitude. Mais les cigares, oui, c’est autre chose. J’en fume peu, peut-être une fois tous les deux, trois mois. Le nouveau salon de cigare ici aux Trois-Rois sera certainement mon endroit préféré pour m’adonner à cet hédonisme.

Vous avez participé à plusieurs projets autour de vignobles, de caves, de chais. Le vin, un autre plaisir épicurien?

Herzog & de Meuron s’occupe de tous les types d’architecture qui nous entoure, nous les êtres humains. Mais il est vrai que j’adore le vin, français particulièrement. Nous sommes très amis avec Christian Moueix, qui est l’un des plus grands viticulteurs du monde, basé à Bordeaux. Nous avons réalisé en 1998 son projet en Californie, pour la Dominus Winery, et son très grand vin (photo). Et nous venons de célébrer cette année, l’ouverture du chai de Bel-Air Monange, à Saint-Emilion. J’y étais la semaine passée, parce qu’on continue à développer des petits projets avec lui, comme une chapelle actuellement.

Beaucoup de vos clients sont des fidèles dirait-on…

Nous sommes très honorés d’avoir des clients qui reviennent, qui sont devenus des amis, et qui font du très grand travail eux-mêmes, comme Christian Moueix, la famille Ricola, avec qui nous avons souvent eu l’occasion de travailler. Ou encore avec Miuccia Prada (photo) avec qui j’aime beaucoup développer des projets communs.

Comment faites-vous aujourd’hui pour choisir un projet, alors que vous devez être ultra-sollicité?

De nos jours, je ne me mêle plus personnellement dans la sélection des projets – Nous avons une équipe qui s’en occupe professionnellement, tout en vérifiant les ressources disponibles de l’agence. Mais je continue à m’engager pour les idées et le concept de chaque projet que nous avons, à chaque étape décisive. L’avantage d’une grande agence comme la nôtre est la diversité et l’amplitude des projets que nous avons. Je peux dire sans arrogance que sur chaque projet nous avons une équipe motivée et composée d’architectes très talentueux – très souvent des jeunes personnes avec des nationalités aussi variées que les thèmes architecturaux sur lesquels ils travaillent.

Y a-t-il un projet qui occupe particulièrement vos pensées?

Il n’y a jamais un seul et unique projet! mais oui, je pourrais dire qu’il y a peut-être deux projets en particulier qui m’occupent plus intensément ces temps-ci. Ils sont plus personnels, presque entièrement «hand-made»: Une chapelle d’autoroute à Andeer dans les Grisons (photo), pour laquelle nous sommes toujours en train de chercher des financements, et le projet «Calder Gardens» à Philadelphie, aux USA.

Et y aurait-il un projet en particulier qui symboliserait la vision d’Herzog & de Meuron?

Non, pas vraiment. Ce qui nous caractérise justement, serait plutôt l’extrême diversité et individualité de chaque projet que nous concevons. Prenez par exemple, le Kinderspital de Zurich et les tours Roche, ce sont des réalisations à la fois tellement spécifiques, et différentes… Tout projet potentiel m’intéresse, vraiment. Et tout ce qui est à Bâle m’intéresse encore plus, car cela fait partie de mon expérience quotidienne. C’est un peu égoïste, mais c’est idéal, car Bâle est comme un modèle pour Pierre (de Meuron, ndlr) et moi; nous sommes nés ici, on est allés à l’école ensemble ici, on a vraiment été gâtés! De nos jours, nous utilisons encore Bâle un peu comme un model de «ville idéale», une référence lorsque nous travaillons sur des projets urbains à l’étranger.

En parlant de cette ville que vous aimez tant, y a-t-il des endroits que vous appréciez particulièrement, des bonnes adresses même?

Il y a certains endroits que j’aime beaucoup, et que je fréquente régulièrement… le restaurant Chez Donati (photo), à quelques pas de notre bureau, les grands musées de la ville, le Stadtcasino…et bien sûr j’adore aller voir jouer le FC Bâle dans le stade de St. Jakob que nous avons réalisé. J’aime aussi le quartier de St. Johann, où se trouve notre bureau. Il est situé dans l’ouest de la ville, près de la frontière qui relie la France et la Suisse. J’ai toujours eu une fascination pour le monde francophone – ma mère était bilingue et venait de Bienne.

Et qu’est-ce qui vous plait encore?

J’apprécie également le fait que Bâle soit une ville tri-nationale, avec ses trams qui relient les différents quartiers, et villes périphériques – francophones et germanophones. Pour moi, la proximité de la frontière est une richesse pour cette ville et je préfère cela à la « Suisse de l’intérieur ». La vie culturelle de Bâle est impressionnante, non seulement avec ses grands musées, théâtres et salles de concert du centre-ville – mais aussi avec les institutions de réputation mondiale qui se trouvent dans sa périphérie, là où la ville touche  l’Allemagne, la France et les autres cantons Suisse:  la Fondation Beyeler, le Schaulager… ou le campus de Vitra à Weil-am-Rhein.