Le jeune chef parisien Mory Sacko bouscule la gastronomie avec vitalité. Le sourire qui illumine son visage comme ses assiettes est contagieux.
Cinq ans! «Je suis né en 2020», lance Mory Sacko en guise de boutade. C’est alors qu’il est passé du statut de chef anonyme dans une cuisine de palace parisien à celui de rock star de culture food. L’année 2020 est celle où il a explosé l’écran de télévision à l’émission Top Chef, où il a ouvert son restaurant gastronomique MoSuke, où il s’est mis à vendre du poulet frit (mais quel poulet frit!) à l’emporter durant le confinement, où il a décroché sa première étoile Michelin. A 32 ans, il semble gérer le tourbillon de son succès avec calme, humour et une belle confiance dans les cadeaux de la vie. Ambre, la fillette qu’il a eue avec sa compagne et partenaire en affaires Emillie Rouquette vient de fêter son premier anniversaire, la troisième adresse de MoSugo, sa mini-chaîne de street food très soigné, vient d’ouvrit dans la Marais, les gourmands heureux patientent pour trouver une table, les collaborations avec les marques de luxe affluent… Tout va bien!
Il faut dire que le jeune mais grand (littéralement aussi: 2 mètres à la toise) chef a réussi à créer un univers à part dans le monde pourtant créatif de la gastronomie. Sa «maison», comme il dit, est sise dans le 14ème arrondissement, un quartier encore populaire qui voit soudain éclore fromageries huppées et échoppes de thé. On y entre comme en visite chez un ami qui aurait amoureusement soigné la décoration: un plafond tendu de textile, des alcôves pour l’intimité, des assiettes de céramique comme autant de pièces uniques. A la table voisine, un jeune couple est venu avec un bébé de six semaines, qui dort comme un ange basané sur la banquette. Plus loin, une famille américaine de passage se félicite d’avoir enfin décroché une table. Dans un coin, un homme d’affaires arrivé bougon pour un repas avec ses parents fond devant sa mousse chocolat-wasabi (si, si!). Magie rassembleuse d’une cuisine qui ne ressemble à aucune autre!
Sa gamme de saveurs, Mory Sacko, issu d’une famille sénégalo-malienne de huit enfants, installée dans la banlieue parisienne, l’a composée à la mesure de ses engouements. Maman mijotait des plats chaleureux d’Afrique de l’Ouest, la télévision diffusait des mangas jusqu’à l’overdose et l’apprentissage en cuisine l’a initié à tous les recoins de la noble tradition française. Et voilà le travail ! Technicité française, soleil africain, subtilité japonaise… Mais ne parlez surtout pas de «fusion» au chef! Lui tient au concept de «dialogue»: il ne s’agit pas de mélanger les cultures, mais d’emprunter une épice ici, un ingrédient là, pour une composition éminemment personnelle. Menu unique mais multitude (19 à mon recensement!) de petits délices: une bouchée d’oshizushi d’omble chevalier avec des champignons, un bouillon de potimarron au lait de coco et yuzukusho, un artichaud façon tagine au citron confit, un bonbon de caramel à l’algue… L’ensemble est à la fois extrêmement sophistiqué et étonnamment réconfortant, comme le serait une cuisine familiale qui aurait soudain largué les amarres pour s’envoler vers les étoiles. A la fin du service, le chef passe en salle et pose sagement pour les photos souvenirs, en pliant un peu les genoux pour faciliter le cadrage. Il s’attable ensuite avec bonne humeur et raconte, à toute vitesse – il y a tant à dire ! – ce qui le fait vibrer.
Quel est le dernier plat qui vous fait particulièrement plaisir?
J’aime beaucoup le dessert au coing, que nous venons d’ajouter à la carte. Il est l’aboutissement d’un travail de recherche avec notre chef pâtissier, Théo, qui est avec nous depuis maintenant deux ans. Ce dessert incarne bien notre démarche: partir d’un produit local, de saison, et l’inscrire dans notre univers, avec des touches du Japon, des touches d’Afrique. En l’occurrence, nous avons travaillé sur le sombi, un dessert très austère que l’on mange au Mali, en Mauritanie, au Sénégal… Il s’agit de riz cuit dans un eau à peine sucrée et lié avec du lait fermenté. On a travaillé cette idée en fond d’assiette, avec du riz japonais et un tout petit peu de crème fraîche épaisse de Bretagne. Théo est breton et j’aime beaucoup cette manière de connecter les mondes grâce aux ingrédients familiers. Et on vient parfumer le coing confit, en tranches translucides, avec des notes de rose et de saké, en granité. Ce travail de recherche représente vraiment la signature de la maison. Le résultat est très fin, très différent des sources d’inspiration. Et le brave coing local y gagne une légèreté et une fraîcheur qui lui sont rarement associées.
Combien de temps prend un tel processus créatif?
C’est impossible à dire, car les premiers pas remontent à très loin… Au printemps, nous faisons beaucoup de récoltes et de préservation, nous mettons par exemples des fleurs d’acacia en bocaux – sans savoir ce que nous allons en faire. Les roses du granité ont ainsi été séchées et déshydratées il y des mois, puis seulement est venue l’idée de les infuser pour ce dessert.
Et vous faites tout cela ici, dans votre petite cuisine, à six chefs? Pour chacun des… 19 plats au menu d’hiver?
Petite équipe, mais avec plein d’idées! D’une part, il y a le temps long avec des préparations très en avance, comme la mise en bocaux, d’autre part; il faut évidemment une solide organisation. Mais comme nous fonctionnons avec un menu unique, chacun sait exactement ce qu’il a à faire. Et accessoirement, ce principe permet de travailler avec zéro déchet.
En salle aussi, votre restaurant est à part, avec une équipe très professionnelle, mais décontractée et joyeuse, sans rien d’obséquieux. Comment recrutez-vous?
J’aime que l’équipe soit jeune. On a tous le même âge ici et c’est moi qui me sens vieux avec mes 32 ans! Je tiens beaucoup à cette super énergie, où tout le monde a envie, tout le monde apporte ses idées, tout le monde cherche à progresser. Je pense que les clients ressentent aussi cette énergie. Certes, ils viennent dans un restaurant étoilé, mais moi je veux que le service garde une certaine simplicité, une certaine humanité, tout en restant aussi professionnel que ce qu’on attend de ce type d’établissement.
Comment faites-vous pour instaurer cet état d’esprit?
Je me sens un peu comme un coach de foot. J’essaie surtout de m’occuper de mes équipes, de capter leur moral, de savoir comment ils vont. C’est fondamental d’être proche de ses équipes. C’est pour ça que je suis présent tous les jours au restaurant, parce que cette connexion se perd dès que l’on n’est physiquement absent. Et puis, il faut connaitre chacun pour pouvoir l’aider à avancer.
Vous êtes-là tous les jours? Et alors: tous ces événements où l’on vous voit cuisiner pour l’ambassadrice des Etats-Unis, à Cannes pour Nespresso, à Saint-Tropez pour le groupe LVMH…
C’est simple: je ferme le restaurant quand j’ai des engagements ailleurs. C’est d’ailleurs le cas aussi pour les tournages de mon programme sur France 3, Cuisine ouverte. Le restaurant est fermé pendant une semaine, les équipes sont en vacances, elles sont contentes. Et moi je suis totalement concentré sur ce que je fais.
Outre la notoriété, que vous apportent ces événements?
J’en ressort toujours avec des émotions nouvelles. L’été dernier, j’ai cuisiné avec ma maman lors d’une expérience pop-up. J’ai adoré parce que nus n’avions jamais vraiment pris ce temps d’échange. A chaque fois, il s’agit d’une vraie découverte. Le lancement d’un café avec Nespresso, par exemple, était cool parce qu’il s’agissait d’une création totale. On est parti de zéro, avec ma seule envie de trouver un merveilleux café d’origine africaine, pour valoriser le terroir de là-bas. J’ai dégusté peut-être soixante-dix cafés différents! Autant dire qu’on était tendus, à la fin de la journée… Mais on a travaillé sur la torréfaction, la finesse de la mouture, les degrés de température… Je ne connaissais pas tous ces paramétrages. Je ne savais pas, par exemple, que la densité dans la capsule pouvait à ce point changer le goût.
J’aimerais revenir à l’origine de votre vision gastronomique. L’Afrique, à la maison, on voit bien. L’apprentissage en technique française aussi. Mais ce Japon? Sort-il vraiment de la télévision comme vous aimez à le raconter?
Tout s’est déroulé de manière hyper naturelle. Je ne l’ai jamais rien calculé. Et c’est vrai que le Japon est venu rejoindre mon idée de croiser les gastronomies un peu sur le tard. Je me suis surpris moi-même à recourir spontanément à des ingrédients japonais. Outre ma passion de jeunesse pour les mangas, j’ai été sous-chef de Thierry Marx pendant 3 ans, 5 ans au total dans ses équipes, et lui aussi est grand fan du Japon. Au Mandarin Oriental, il y avait plein de chefs japonais. Et moi, tous les jours, – les pauvres! – je les embêtais: comment tu fais un dashi (une sorte de bouillon, ndlr)? Et toi un curry? J’étais très curieux, mais pas seulement de la cuisine élégante, des sushis, des kaisekis ! J’aime aussi la brochette du coin de la rue, donc je voulais tout connaître. Ma cuisine a fini par s’imprégner de tous ces éléments.
Où trouvez-vous donc tous ces ingrédients?
A Paris, nous avons vraiment beaucoup de chance de bénéficier d’une offre extraordinaire. Mais notre philosophie de dialogue entre cultures repose surtout sur les techniques et les assaisonnements. Pour les produits frais, nous nous respectons finalement la saisonnalité d’ici: 95% de nos produits sont français. Les produits d’import seront les épices et quelques bases de sauce soja ou de miso. Tout le reste est fait maison. Notre sauce piment, par exemple, a un vrai goût d’Afrique, mais elle est faite avec des piments de Bourgogne. Pareil pour le yuzukosho, ce condiment japonais avec du piment et du citron. Donc nos piments viennent toujours de Bourgogne et nos citrons de la région de Carcassonne. Les arachides dans le mafé? Elles viennent des Landes. Voilà vraiment l’un des axes majeurs qui me sont chers.
Vous êtes finalement aussi allé au Japon…
Oui ! J’ai mis longtemps à pouvoir faire le voyage, mais je ne peux plus m’arrêter. J’y suis déjà allé trois fois, dont l’été dernier, en famille. Je visite et découvre le pays, mais je goûte aussi aussi plein de choses, le saké, le soja… Et je rencontre des chefs, je visite les manufactures.
Qu’est-ce qui vous a le plus bluffé, là-bas?
L’idée de précision est peut-être une évidence au Japon, mais je ne m’attendais pas à un tel niveau. J’ai rencontré un chef Yakitori (mini-brochettes de volaille, ndlr) qui ne fait que du Yakitori. Mais il faut voir comment! Il peut montrer 70 découpes différentes sur un poulet. Je ne savais même pas qu’il y avait autant! A force de travailler le poulet tous les jours, il est capable d’aller chercher des morceaux incroyablement précis. Et il ne s’agit pas de simplement griller au charbon! Le type de charbon utilisé est fondamental… Franchement, je m’attendait sans doute à ce qu’un chef de là-bas soit ultra-précis et un peu monomaniaque, mais jamais je n’aurais imaginé ce degré de compréhension de son art. C’est assez fou… Et je pourrais dire la même chose d’un chef de sushi ou du tempura. Un vrai chef sushi, croyez-moi, préférerait se couper la langue plutôt que de révéler où il achète son riz ! Je dois avouer que je trouve cette culture du secret assez belle, avec un côté un peu magique.
Votre restaurant, vous l’avez voulu accueillant et détendu…
Je suis super heureux de cette ambiance! On voit des familles, des jeunes qui viennent pour leur première expérience de table étoilée… Je ne voulais surtout pas d’un endroit qui pourrait intimider. Mon restaurant est un restaurant gastronomique simple. Le seule complexité est dans l’assiette.
Et vous êtes un grand amateur de déco!
J’adore! Je voulais la chaleur d’un cocon, avec une ambiance très enveloppante, une lumière chaude… Avec le cabinet d’architectes Friedman et Versace, nous avons travaillé sur les références un peu cachées au Japon et à l’Afrique, dans les teintes, les matières, comme ce papier peint qui est en fait de la paille tressée. Pas question de coller un sabre sur un mur !
Et la céramique?
C’est une passion! On a travaillé avec cinq céramistes différents, en élaborant les idées ensemble. Tenez: pour la soupe de poisson Pépé, inspirée de la côte camerounaise, je voulais une assiette rectangulaire, comme un aquarium… ou plutôt comme une piscine. J’aime beaucoup l’idée que ces assiettes aussi ont leur rôle dans le repas, pas seulement comme supports: elles construisent une sorte de paysage sur la table. Avec le travail artisanal que la céramique représente, on apporte un degré de personnalisation assez poussé, avec la même exigence qu’en cuisine. Dans un restaurant, l’expérience doit être cohérente : quand le client lève la tête, il doit trouver un univers qui prolonge le contenu de son assiette. Et oui, je suis aussi de la génération instagram, qui soigne la mise en scène.
Sur le plan personnel, vous avez une fillette d’un an. Vous vous en sortez?
Oui, je gère. Attention: je ne dis pas que ma vie est reposante. Le soir, je tombe dans mon lit et je dors tout de suite. Mais c’est cool parce que tous les aspects de ma vie sont remplis de projets qui sont hyper stimulants.
Mais vous n’habitez plus au-dessus du restaurant?
Non. Nous avons déménagé, toujours dans le sud parisien, mais dans un appartement un peu plus grand. Le bébé a besoin de place!
Votre compagne est aussi votre partenaire en affaires. Comment distinguez-vous le professionnel du privé?
On ne distingue pas! L’avantage d’une telle collaboration, c’est qu’on travaille en pleine confiance l’un envers l’autre. C’est un luxe, pour moi, de pouvoir céder à Emilie la totalité de la partie administrative et financière – nous avons tout de même la responsabilité de 46 employés en tout – et de m’éclater dans tous le côté créatif, de la cuisine à la décoration, en passant par les projets les plus divers. Je sais qu’Emilie est là, avec un poste très large qui inclut aussi les contrats. Elle est vraiment bonne là-dedans, très rigoureuse et structurée, et elle adore. Sa gestion nous permet de maintenir des comptes sains et de soutenir notre développement, sans investisseur. On fait un binôme parfait. Notre équilibre, depuis 10 ans, est fait de ce mélange de travail, vie personnelle, vie privée. On brasse tout cela avec bonheur et ça marche… En tout cas mieux que si on sortait notre planning à chaque fois que l’on a une question de boulot à régler! On se retrouve dès lors régulièrement à discuter du bilan financier, alors qu’on est en voiture pour aller manger chez les parents de l’un ou de l’autre. C’est très bien! De toute façon, on est dans la voiture ensemble, alors autant valoriser ce temps. On est plutôt tous les deux axés sur l’efficacité, donc ça va.
Et vos plans pour Noël?
Dans ma famille, on ne fête pas Noël, alors j’ai découvert ces traditions sur le tard, avec ma belle-famille. Je trouve cet esprit très cool! Comme je suis très porté sur les liens familiaux et je trouve super sympa ce rituel qui rassemble tout le monde. Ce rendez-vous annuel, presque une obligation familiale, permet de garder le contact, de savoir comment vont les uns et les autres. J’adore!
Et vous cuisinez?
C’est effectivement l’un seuls moments où je cuisine en dehors du restaurant. Pour Noël, je me mets au fourneau pour faire plaisir à tout le monde et je fais une cuisine qui ne me ressemble pas du tout: très traditionnelle, très classique. Généralement je fais des noix Saint-Jacques car en décembre, elles sont magnifiques. Et de la volaille, forcément: je suis plutôt poularde, car je trouve le chapon trop gras. Un petit peu de truffes quand même… Pour les desserts, je délègue! C’est Emilie qui fait la bûche. Elle a une formation en restauration et elle pâtisse très bien.
Et hors Noël, à la maison, vous ne cuisinez jamais?
On se fait livrer, ou Emilie cuisine, ou alors on va chez nos parents. Je m’arrange toujours pour ne pas cuisiner le week-end, parce que c’est le week-end quand même! C’est le seul moment où j’ai vraiment envie de mettre les pieds sous la table.
Votre compte instagram vous montre aussi en vacances, dans un contexte privé. Pourquoi ce choix de la transparence?
Cet outil de communication a effectivement pris une place importante. Instagram, c’est comme si j’avais mon propre organe de presse, où je peux faire passer les informations que j’ai envie de faire passer. Mon audience est faite de gens qui souvent me suivent depuis Top Chef. Ils m’ont soutenu, ils ont envie d’en connaître plus sur le restaurant, sur nous, sur notre travail. Je leur dois d’être sincère! Alors je partage mes expériences, que ce soit en cuisine, dans des dîners en bas de mon restaurant, que ce soit aussi au restaurant et mes vacances aussi, je raconte un peu de tout, parce que c’est la même histoire en fait. C’est hyper agréable, quand on ouvre un restaurant, que des gens racontent qu’ils y ont mangé et qu’ils aient aussi envie d’essayer mes adresses de street food Mosugo. Depuis plus de 4 ans que j’ «existe», cette communauté m’accompagne. C’est un indicateur assez fort pour nous dire si on est dans la bonne direction.
Vous venez d’ailleurs d’ouvrir votre troisième adresse Mosugo, cet automne. D’où vient cette pulsion du poulet grillé?
Les décorations changent, mais c’est le même concept que l’on réplique, dans la rue ici, aux Galeries Lafayette ou dans celui qui vient d’ouvrir, dans le quartier du Sentier. C’est une aventure qui a commencé pendant le Covid et que l’on a dû fermer le restaurant. Plein de gens sont venus chercher leur burger à l’emporter et ils aimaient trouver quelque chose de bon et de rassurant.
Et quel est le lien du coup avec ce restaurant gastronomique?
Le lien, c’est surtout le chef! Je fais ma cuisine, je garantis la même rigueur dans le travail et dans la provenance des produits. On fait du streetfood, mais pas du bas de gamme! Le Mosugo représente la cuisine du ventre, ces moments où l’on a juste envie de se faire plaisir avec quelque chose de simple et de satisfaisant. J’éprouve moi aussi ces deux besoins: parfois j’ai envie de passer 3 heures à table devant des plats sophistiqués, parfois j’ai envie d’une pizza tranquille – mais très bonne. Ou alors le poulet frit, un plat que j’aime vraiment d’amour.
Vous avez été formé par le chef Thierry Marx. Quels principes de vie vous a-t-il transmis?
Avant le Mandarin, j’ai fait le Royal Monceau. Ma formation en cuisine repose vraiment sur la tradition et la base technique de française. C’est très important pour moi, car c’est sur cet acquis que reposent toutes mes inspirations d’ailleurs. Aux côtés du chef Thierry Marx, j’ai aussi appris une certaine vision du management en cuisine. Il priorisait vraiment l’humain et l’ambiance au sein de l’équipe. Il se disait toujours prêt à mettre à la porte celui qu’il entendait crier dans la cuisine. Il avait une absolue intransigeance envers le mauvais comportement. Le trio de valeurs qu’il nous inculquées sont le savoir-être, le savoir-faire et le savoir-faire-faire. La dernière partie est vraiment la plus difficile, car il s’agit de l’art de transmettre. Il faut être rigoureux avec les faits – si la cuisson d’un poisson est ratée, il faut le dire – mais cela ne signifie pas qu’il faut dire au gars qu’il est nul. Mon rôle, comme chef et chef d’équipe, est de montrer comment faire bien. Ne jamais attaquer la personne, mais savoir la faire progresser.
De nouveaux comportements arrivent donc en cuisine…
Aujourd’hui on répare les pots cassés après des années d’excès et d’abus. Beaucoup de jeunes sont découragés du métier et cela explique aussi la grave pénurie actuelle de personnel. Il faut vraiment ramener de l’humanité en cuisine et démontrer chaque jour que ces métiers sont passionnants et qu’ils offrent de beaux espaces de liberté créative – même pour ceux qui n’ont pas forcément un niveau d’études élevé. La liberté de créer un plat n’est peut-être pas une liberté gigantesque, mais c’est une liberté quand même.
Votre exemple est justement inspirant pour beaucoup de jeunes. Vous sentez-vous aussi une responsabilité à cet égard? Aussi liée à votre couleur de peau?
Personnellement, je n’ai jamais été réellement confronté au racisme, qui, à Paris, en cuisine, n’a pas vraiment de raison d’être car les blancs y sont plutôt minoritaires. Je suis très parisien et j’ai eu la chance de grandir avec l’idée que ma couleur de peau représentait une différence, mais aussi un atout. Mais je réalise bien que ma trajectoire peut représenter un modèle. C’est une fierté et une responsabilité. Mais je ne suis pas dans la revendication. Je préfère faire mon boulot et être content si peut-être un jeune Congolais, aujourd’hui à l’école de cuisine, se dise «Bah, moi aussi je veux devenir chef étoilé en incluant la cuisine d’origine de mes parents.» Il va assumer ses ambitions dès le début et vouloir progresser.
À votre avis, quelles sont les nouvelles tendances qui émergent?
Je dirais que la responsabilité écologique est aujourd’hui vraiment une donnée de départ pour les cuisiniers. Même moi qui fais une cuisine où on parle d’Afrique et de Japon, je commence par parler de la saisonnalité des produits. Et la préoccupation est encore plus présente chez les jeunes cuisiniers, les stagiaires. Et auprès de la clientèle aussi. Après, on sent aussi monter un mouvement de personnalisation. Les chefs racontent une histoire, chacun la sienne, et les gens viennent au restaurant parce qu’ils ont envie d’être emmené dans un univers, dont l’assiette n’est qu’un des composants.
Des exemples de chefs à suivre?
Ceux qui réussissent dans notre génération sont les plus sincères, ceux qui ne trichent pas sur leurs convictions. Une cheffe comme Manon Fleury, très engagée sur la cuisine végétale mais aussi sur les fermes en cuisine, a vraiment construit un bel univers. Adrien Cachot, qui est un ami, propose une merveilleuse cuisine très engagée pour valoriser les produits pas forcément perçus comme nobles. Un génération chefs arrive avec des convictions et ces convictions deviennent un style.
Les chefs sont les nouvelles rock stars…
La médiatisation des chefs peut avoir des mauvais côtés, mais je trouve génial que l’on puisse inspirer les jeunes avec un métier qui incarne les valeurs de travail, d’abnégation, de rigueur, de sincérité. Ce sont de belles valeurs.
Vous avez beaucoup d’offres de partenariats, de propositions. Je vois d’ailleurs une belle montre Tag Heuer à votre poignet!
J’ai rencontré Frédéric Arnaud à l’occasion d’une restaurant éphémère que j’ai créé à Saint-Tropez pour le groupe LVMH. Il m’a tout de suite proposé de devenir ambassadeur de Tag Heuer et cela me correspond bien: la première belle montre que des jeunes adultes s’offrent. Mon restaurant aussi et souvent la première expérience de gastronomie. Je porte le modèle Carrera, celui avec le verre bombé, la Glassbox. J’ai toujours aimé les montres, mais je n’avais pas les moyens de m’en offrir.
On vous a aussi vu dans l’univers de la mode…
J’ai effectivement participé à une campagne Ralph Lauren il y a deux ans et ce automne, je figure dans la campagne Emporio Armani. Toute l’idée consiste à croiser les esprits créatifs à lancer des ponts entre les univers. Comme la cuisine, la mode est un art de la transformation. Moi, je prends des carottes, j’en fais un plat, eux prennent du cuir et en font une veste.
Vous aimez les vêtements?
Beaucoup! Culturellement, je suis très attaché à la manière dont on se présente. Ma mère faisait très attention à ce qu’on ait des beaux vêtements repassés, pas tachés. J’ai toujours dû faire attention à ça. Je communique très naturellement avec l’univers de la mode, du luxe.
Votre achat pour l’hiver?
Il me manque un vrai beau blouson en cuir. Mais je n’ai pas encore trouvé celui avec lequel j’ai envie de passer du temps.