
De passage dans son restaurant de Genève, le chef superstar partage ses petits secrets de cuisine et ses recettes de bonheur dans la vie.
Chemise à fleurs et baskets de couleur, le plus pop star des chefs internationaux est d’un abord modeste quand il passe saluer son chef genevois, Maxime Martin. Ce dernier incarne, au sein de l’hôtel Mandarin Oriental, le label aux mille saveurs méditerranéennes. Ouverte il y a presque un an, cette seule antenne de l’empire Ottolenghi hors Royaume-Uni ne désemplit pas, avec cette chaleureuse philosophie de plats bariolés à partager – avec les doigts s’il le faut.
Maxime Martin a passé des mois à la maison mère, à Londres, entre le laboratoire où s’inventent les livres de recettes, le Ravi haut de gamme et les autres adresses du chef anglo-israélien. Le patron est ravi du résultat, de la carte comme de l’ambiance. Il prend le temps de partager quelques petits secrets.

Comment s’est passée cette première année de votre restaurant de Genève, le premier hors Grande-Bretagne?
Je suis très heureux de la carte et de l’ambiance. Le chef Maxime Martin (photo) a été recruté en Suisse et il est venu à Londres quelque temps pour s’imprégner de la philosophie de nos restaurants là-bas. Comme tous les chefs de mes établissements, il a l’entière responsabilité de la carte et je n’ai pas besoin d’être là très souvent-
Quelle est la place qu’il occupe dans la galaxie Ottolenghi?
Il se rapproche du Ravi, à Londres, avec cette importance du grill (photo), qui occupe une place centrale dans le restaurant. J’aime que les gens vivent l’histoire que raconte la cuisine, qu’ils assistent à sa préparation. J’ai toujours aimé montrer les ingrédients sur les étagères, les piles de citron, les conserves alignées… Cela participe à la théâtralité de la cuisine et permet de mieux transmettre notre insistance sur la fraicheur et la spontanéité. Cela n’a pas été totalement possible à Genève, mais le grill tient le premier rôle et donne la dynamique.


Avez-vous apporté une touche suisse pour l’occasion?
La cuisine reste évidemment d’inspiration internationale, avec un fort accent méditerranéen. Mais nous avons apporté quelques touches locales, avec, par exemple, les beignets au kimchi (photo), un classique de la maison, que l’on réalise ici avec du Gruyère. Et beaucoup de fruits et légumes viennent naturellement de la région. C’est une démarche saisonnière qui m’est naturelle. Même notre halloumi est de production locale.
À quel point êtes-vous strict avec les produits de saison?
Autant que possible, sans être fanatique. En hiver, on peut faire des choses extraordinaires avec les légumes racines. J’adore les oignons jaunes (photo), si doux et délicieux. Je les sers en vedettes, au centre de l’assiette. Ou le céleri-rave. Ou la carotte. Autant d’ingrédients simples, des classiques de la cuisine européenne du centre et du nord, que nous essayons de cuisiner un peu différemment, avec des épices ou des marinades qui leur donnent une nouvelle vie. Mon job est de leur instiller des saveurs inédites, d’en faire des merveilles. Cela vaut aussi pour le chou-fleur ou la courge.

Et que faites-vous donc du céleri-rave, ce malaimé?
Il y a une recette que je pratique depuis 2017 : il s’agit de cuire la tête entière sur le grill, pour la caraméliser et la débiter en lamelles comme un shawarma. On l’assaisonne d’épices à shawarma et on alterne les tranches avec une rémoulade de céleri, ce qui fait alterner le cru et le grillé. Ce condiment tunisien nommé Baccalà, ainsi que l’huile d’olive, sont complétés de tomate fermentée… Tout une palette de saveurs pour compenser le fait que non, il ne s’agit pas d’agneau…

Grâce – ou à cause! – de vous, nous avons tous des épices incroyables dans nos cuisines. Si vous ne deviez en garder qu’une…
Je plaide coupable d’avoir surchargé vos étagères! Evidemment, en choisir une revient à préférer un de ses enfants. Mais disons que le cumin (photo) bénéficie d’un statut à part, puisqu’il est vraiment utilisé dans une multitude de cultures, de l’Afrique du Sud aux pays nordiques. Toutes l’utilisent de manière différente et cela me parle beaucoup, car j’aime, moi aussi, voyager entre les pays et les traditions culinaires. Et le cumin est l’épice la plus fortement associée aux saveurs salées. Voilà pour le numéro un. En numéro deux, je citerais les flocons de piments. Il y a tant de variétés, et chacune métamorphose les plats.
Par exemple?
Prenez le plus simple des plats : les œufs brouillés. Ajoutez-y un peu de beurre infusé avec une variété de piment d’Urfa turc, très sombre avec une saveur forte mais pas trop, presque douce vaguement évocatrice de la réglisse. Cela n’aura rien à voir avec un beurre infusé par exemple de piment rouge mexicain. On sera dans un piquant beaucoup plus ardent.
Quelle est l’importance de la vaisselle dans la mise en scène de vos plats?
C’est drôle que vous me posiez la question, car effectivement, je suis très attaché aux belles assiettes, aux saladiers qui en jettent. Cette attention remonte au tout début des année 2000 – il y 23 ans exactement – quand je me suis lancé avec une enseigne de plats à l’emporter, à Londres, dans le quartier de Notting Hill. J’ai alors passé des heures, des jours, des semaines, à mettre au point une présentation qui incite les gens à s’arrêter. Le point clé, pour moi, en est justement le plat. J’ai fini par aller faire mon shopping dans des jardineries ou des brocantes pour dénicher ces contenants absurdement grands, de formes diverses, qui correspondaient à mon idée. Il fallait signaler que la nourriture servie là était exceptionnelle. Ce vocabulaire, cette esthétique, reste à ce jour la même: de très grands plats colorés, dépareillés, généreux.
On mange d’abord avec les yeux…
Exactement! Sur la table de restaurant, j’aime aussi que la composition soit décontractée mais harmonieuse, avec de grands plats pas trop remplis… mais pas non plus trop vides, comme dans la cuisine française chic. Il faut que le client ait envie de tout emporter : l’assiette, la nappe, les couverts… Un style de beau qui trouverait naturellement sa place à la maison. C’est pour cela que j’ai aussi lancé une ligne de vaisselle avec l’artiste Ivo Bisignano (photo), qui réinterprète l’univers des légumes de façon abstraite.

Choisissez-vous la vaisselle dans tous vos restaurants?
Hélas non! Quand nous créons des restaurants éphémères, comme l’été dernier à Ibiza, je demande toujours à voir la vaisselle disponible avant de finaliser le menu. Il faut que nourriture et mise en scène racontent la même histoire. Mais je choisis avec grand soin la vaisselle pour les photos de mes livres de cuisine – dont la réalisation reste mon activité favorite. J’y passe des heures et je suis le seul styliste à l’œuvre. Je ne laisse personne toucher à cela !
Quel est votre conseil pour tous les amateurs qui s’essaient à la photo de cuisine?
Dans mon expérience, il ne faut pas trop en faire. Une fois que l’on a mélangé les ingrédients et qu’on les a un peu jetés sur le plat de service, il faut dire : « Stop ! On fait la photo sans toucher à rien !» Souvent, c’est la meilleure prise de vue, la plus naturelle. Après, on commence à arranger, à essayer de faire joli et ça ne marche plus vraiment. Avec Jonathan Lovekin, le photographe avec qui je travaille depuis toujours, nous en rions à chaque fois : peut-être y a-t-il une explication physique, une sorte de loi qui fait que les choses renversées tombent naturellement bien…
Quel est le dernier cadeau fait à quelqu’un qui vous est cher?
J’aime apporter de beaux arrangements de légumes quand je suis invité quelque part, avec aussi des huiles d’olives délicieuses et des condiments de notre ligne. J’aime aussi acheter des accessoires de cuisine, comme ce merveilleux éplucheur, déniché à un festival littéraire au Pays de Galles – tout simple, avec une poignée rouge. Et bien sûr, les fantastiques éplucheurs suisses de Victorinox sont super efficaces !

Et le dernier cadeau que vous vous êtes offert?
La paire de sneakers Nike Air force en rose et vert (photo), l’été dernier. Regardez, je les porte! Je me suis fait une réputation pour ma passion envers les chaussures de sport hautes en couleurs.
Quelle est votre routine quand vous venez à Genève? Avez-vous le temps de visiter?
Jamais, hélas ! J’ai tout juste le temps de filer acheter du chocolat pour mes enfants. J’aime beaucoup l’offre de Läderach (photo) du magasin de l’aéroport, mais on m’a aussi parlé des Amandes Princesses de Guillaume Bichet, je vais essayer de trouver le temps pour y faire un saut.

Vous avez d’ailleurs un lien avec la Suisse…
Oui, la PDG de notre compagnie, Cornelia Stäubli, est aussi ma meilleure amie et marraine de mes enfants. Elle les emmène régulièrement skier à Davos et j’y suis aussi allé – mais pas en hiver. J’ai adoré marcher dans la montagne.

Quel est votre refuge personnel pour fuir le monde?
Nous louons une maison en famille presque chaque été sur l’île grecque de Kia (photo). Ce n’est pas une île glamour où faire la fête. Ce que j’aime là-bas, c’est une sorte de retour à l’essentiel. Pas seulement la beauté du paysage et les bains de mer, non… J’apprécie cette simplicité où le marché ne propose que des courgettes, des aubergines, des tomates, des pêches et du poisson frais pêché, mais de quelle qualité. Je cuisine très volontiers là-bas, alors que j’ai finalement peu de temps pour le faire à la maison le reste de l’année.