Ils donnaient autrefois une street credibility certaine aux caïds du Bronx, voilà que les bijoux dentaires s'embourgeoisent et investissent l'univers du luxe.

Des pantalons à taille basse. Des bikinis fluos. Des Adilette. C’est au moment où l’on s’y attend le moins que le monde de la mode célèbre, avec une envie presque diabolique de provocation molle, le retour de ce qui était autrefois tombé en disgrâce. Marquée par des cycles récurrents, la mode s’intéresse désormais aux années 90 et, dans le cadre de ce retour, a remis sur un piédestal les bijoux dentaires.

Mais cette fois, les grilles dentaires amovibles (les grillz) et les embellissements dentaires ponctuels (ou gems) ne sont plus réservés aux stars du hip-hop chic comme Rihanna, 50 Cent ou Flava Flav. Dans les années 1990 déjà, les superstars avaient contribué à la renaissance des dents en or, devenues populaires auprès de la population afro-américaine de New York dans les années 1970, et les avaient exhibées dans les versions les plus diverses.

Les médias sociaux jouent un rôle décisif dans ce retour de tendance. Les influenceurs qui l’ont adoptée se bousculent sur Instagram et TikTok comme des grains de sable dans le désert de Gobi. Le mannequin Adwoa Aboah ou la chanteuse Katy Perry se parent d’ornements de leurs marques de mode préférées. Alors que la chanteuse a brillé avec un swoosh Nike, Adwoa Aboah a opté pour un minuscule logo Chanel sur sa dent frontale gauche. La Britannique a révélé qu’il s’agissait d’un produit de la marque Tooth Candy, basée à Los Angeles. Un coup d’œil sur son site web vaut la peine – du mini coup-de-poing américain au microsquelette en passant par des papillons multicolores, on trouve chez ce it-retailer tout ce qui met l’or à la bouche des fashionistas. Qu’ils soient plutôt simples (comme sur l’émail de Kendall Jenner) ou multicolores et répartis sur plusieurs dents (Dua Lipa), la possibilité d’utiliser ces bijoux dentaires comme forme d’expression trouve naturellement un écho favorable dans le monde des artistes et des extravertis. A la manière des tatouages qui se sont démocratisés. Ou dirait-on déscandalisés?

Autant dire que les spécialistes dentaires ont le sourire, également dans notre pays. «Je ne peux pas fournir de chiffres officiels à l’échelle nationale, mais si je me base sur mon propre cabinet, on peut dire que j’ai déjà collé plus de petits cailloux au premier trimestre 2024 que pendant toute l’année dernière. La demande est forte», explique Pascale Affolter, qui exerce la médecine dentaire depuis 2014 et siège au comité de la Société suisse des médecins-dentistes, à Soleure. Selon elle, les tooth gems, c’est-à-dire les dents décorées de petits ornements, sont particulièrement demandées. La procédure en elle-même est simple: Après un nettoyage minutieux des dents, les gems sont collés sur l’émail. Pour ce faire, la surface des dents est d’abord nettoyée et polie, puis elle est traité avec un agent adhésif spécial afin d’améliorer la durabilité des gems. Cette «gemme» est ensuite appliquée sur la dent avec de la résine liquide et fixée par photopolymérisation. Le coût de la pose varie généralement entre 40 et 100 francs par dent.

Symbole esthétique et religieux

Il ne s’agit pas d’une intervention irréversible, au contraire – il faut tenir compte du fait qu’une telle décoration peut se détacher en mordant dans un pain croustillant. Mais la spécialiste y voit aussi un avantage. «Il existe la possibilité d’insérer des pierres dans la dent, mais il faut alors forer et sacrifier de la substance dentaire dure. Si la patiente en a assez, la pierre est fraisée et la dent est à nouveau remplie. C’est beaucoup plus compliqué.» Il faut aussi se méfier des kits de bricolage, comme on en trouve désormais sur des sites de vente en ligne à bas prix comme Temu. Ne serait-ce qu’en raison de la colle fournie, dont l’origine et la composition ne correspondent souvent pas aux normes de sécurité locales et peuvent causer des dommages irréversibles à l’émail des dents. Pascale Affolter n’a pas encore fabriqué de grillz amovibles comme ceux aperçus lors des défilés de mode de Balmain et Givenchy, ou dans la bouche de Pharell Williams et Kim Kardashian. «Mais j’aimerais bien», avoue l’experte en riant.

Ceux qui pensent que les bijoux de bouche ne sont qu’un vestige des années 70 et 90 se trompent lourdement. Les Étrusques avaient déjà un faible pour les dentitions brillantes. Des squelettes humains portant des bijoux dentaires ont ainsi été découverts dans certaines tombes. En 1999, l’historien Marshall Joseph Becker a publié dans l’American Journal of Archaeology un article sur les origines étrusques des applications dentaires en or, datées déjà du milieu du VIIe siècle avant Jésus-Christ: «Ces applications sont toutes faites de bandes d’or plates et servent à maintenir en place une ou plusieurs fausses dents», y était-il écrit. On sait par ailleurs que les Mayas (400 à 900 après J.-C.) taillaient leurs dents avec de l’obsidienne, un verre volcanique, et les décoraient d’incrustations de jade ou de pyrite. Cette taille n’était pas seulement motivée par des raisons esthétiques, mais aussi religieuses, car elle symbolisait le passage de l’enfance à l’âge adulte.

Depuis le Moyen Âge, les bijoux dentaires se sont également établis en Europe. Alors que les hommes avaient déjà recours à des dents en or voyantes (Louis XIV, Pierre le Grand en Russie), on sait moins que l’impératrice Elisabeth d’Autriche (la fameuse Sissi, 1837-1898) et Frida Kahlo (1907-1954) ont elles aussi parcouru le monde la bouche parée de pierres précieuses. L’impératrice Sissi maintenait ses prothèses dentaires avec des anneaux en or. L’artiste mexicaine, quant à elle, considérait ses couronnes en or ornées de couleurs vives comme un signe de son identité culturelle et une forme d’expression artistique.

Pouvoir, prestige, forme d’expression – les raisons de porter des bijoux dentaires ont traversé les siècles. Les hommes, hier comme aujourd’hui, aiment montrer leur statut par des pierres et des métaux précieux placés de manière centrale. Et iront peut-être voir le Dr Thomas Connelly, le father of Diamond Dentistry, comme l’a baptisé le magazine Rolling Stone. C’est grâce à ce grand gaillard tatoué de Beverly Hills que le musicien Post Malone se promène dans le monde avec 18 facettes en porcelaine, huit couronnes en platine et deux diamants à la place des canines supérieures. Coût: 1,6 million de dollars. On ne sait pas exactement combien a coûté la barre en titane de Ye, alias Kanye West, si ce n’est que la somme affiche six chiffres. Les dents entières en diamant sont disponibles dans une fourchette allant de 100 000 à 2 millions de dollars, les facettes en porcelaine avec inserts en diamant coûtent chez lui entre 10 000 et 75 000 dollars. De façon plus réversible, l’artiste Dolly Cohen impose sa patte avec des bijoux dentaires aussi luxueux qu’ostentatoires.

Mais si vous êtes à l’affût de la prochaine folie bijoutière, prêtez l’oreille. Depuis que la styliste Pat McGrath a fait défiler les mannequins avec des oreilles scintillantes lors du défilé printemps-été 2024 de Schiaparelli, les crystallized ears sont la dernière tendance à la mode. Face à la guerre, au changement climatique et à l’ambiance de crise, la soif d’étincelles dans la vie est toujours aussi grande.

Autres repérages sur le sujet Bijoux

Bijoux

La montre Première Sound de Chanel, ce bijou techno

Bijoux

Claire Choisne, plongée en eau froide

Grâce à l’imagination débordante de sa directrice de création Claire Choisne, Boucheron, l’une des plus anciennes maisons de la place Vendôme à Paris, repousse sans cesse les limites du savoir-faire traditionnel.