L'exposition Homo Faber offre une vitrine de rêve, sur la lagune, aux plus exclusifs des savoir-faire.
1. Porcelaine
Fragiles virtuosités
A voir Oubliez les assiettes! La célébration de la porcelaine proposée ici transcende l’utilitaire pour devenir une virtuosité expérimentale. Le parcours est pensé comme un dialogue entre l’Europe et le Japon, avec deux approches radicalement différentes de cette matière. L’artiste japonaise basée à Londres Hitomi Hosono y présente par exemple des pièces à la décoration complexe, inspirées des paysages traditionnels et de la fine observation botanique. Ruth Gurvich, artiste française d’origine argentine (photo), lui répond avec des pièces écrasées, pliées, tordues… Il va sans dire que les grandes manufactures de tradition – Sèvres, Meissen, Nymphenburg, Bernardaud – y sont aussi à l’honneur.
L’éboulissement Le visiteur de la magnifique salle où sont exposées les porcelaines est invité à lever les yeux pour découvrir la statuaire et les décors de bois foncé: il s’agit de la bibliothèque baroque du XVIIe siècle, dessinée par l’architecte Baldassare Longhena. Dentelle de bois, dentelle de porcelaine…
Porcelain Virtuosity, bibliothèque Longhena, Fondation Cini.
2. Horticulture
Un poumon vert sur la mer
A voir Il faut franchir le pont-levis qui relie le Palais royal à la place Saint-Marc, pousser le portail ouvragé. Et soudain, la pierre si présente à Venise cède la place à une exubérance verte et pastel. Sur 5000 m2, les allées longent les massifs d’hortensias et les petits canaux serpentent entre serres et tonnelles. Ces jardins royaux, fondés par Napoléon Bonaparte à la fin du XVIIIe siècle sur l’emplacement d’anciens entrepôts, ont été laissés à l’abandon ces trente dernières années et rares sont les visiteurs qui en connaissent l’existence. Ils ont été entièrement restaurés fin 2019 et le secret ne va pas tarder à s’ébruiter.
L’éblouissement Outre les fleurs de toujours qui ont été replantées, des bambous viennent créer des recoins orientalisants. Un café permet d’oublier le temps et de se plonger dans une douceur méditative.
Giardini Reali, accès gratuit tous les jours de 8 h 30 (jusqu’au 14 avril) ou 9 h (dès le 15 avril) à 19 h. Arrêt de vaporetto près de la place Saint-Marc.
3. Mécanique d’art
Sainte-Croix sur lagune
A voir De Sainte-Croix à Venise il n’y a qu’un pas, franchi par les étudiants de l’Ecal et les artisans sainte-crix. On connaît la tradition ancrée dans l’arc jurassien franco-suisse pour la mécanique d’art déployant ses savoir-faire dans l’horlogerie bien sûr, mais aussi dans la fabrication de boîtes à musique et d’automates. Ce patrimoine culturel immatériel reconnu par l’Unesco fait l’objet d’une exposition curatée entre autres par le Romand Nicolas Le Moigne, constituée de cinq installations interactives. Les mécanismes peuvent être actionnés par le public dans une scénographie avec jeux de lumière et de matière, imaginée par la designer suisse Charlotte Therre.
L’éblouissement Si Venise est trop loin, on peut s’offrir une escapade sur les terres d’origine des automates, au Musée Baud, à L’Auberson, qui présente des pièces de 1750 à 1940, le musée de Sainte-Croix, lui, est en rénovation.
Mechanical Marvels, salle de la photographie, Fondation Cini.
4. Techniques
Dialogue entre Italie et Japon
A voir La quête du beau est une valeur commune à l’Italie et au Japon qu’Homo Faber célèbre au travers d’une exposition présentant 19 maîtres artisans italiens inspirés par l’Empire du Soleil levant, dans des arts qui vont de la mosaïque à la fabrication de masques, de la verrerie à la miroiterie. Venise, carrefour entre l’Occident et l’Orient, a joué un rôle prépondérant dans les relations entre la Botte et l’archipel, dont la première délégation de nobles a été reçue sur la lagune en 1585 et couverte de soieries et de brocarts.
L’éboulissement Parmi les artisans retenus pour cette exposition Gianluca Pacchioni, sculpteur milanais, qui rend le métal léger comme une plume (photo), mais également Lino Tagliapietra, star des souffleurs de verre dont les œuvres sont exposées dans les plus grands musées du monde. Il perpétue l’art verrier de Murano, où il a installé son atelier en 2014. Cette ancienne menuiserie de la Fondamenta Serenella, face à la mer, est devenue un lieu de pèlerinage pour les aficionados du maestro dont certaines des premières œuvres ne sont visibles qu’ici. Sur rendez-vous seulement…
Italy and Japan: Marvellous Liaisons, Fondation Cini.
5. Couture
Maestro du costume historique
A voir La vitrine modeste donne sur un canal du quartier Cannaregio. Il faut y entrer et plonger dans l’univers enchanteur de Stefano Nicolao. Ouvert en 1980, son atelier de couture est une machine à remonter le temps. Le costume historique n’a pas de secret pour ce passionné de cinéma, qui rêvait d’être acteur avant de se rendre compte que les coulisses étaient aussi passionnantes que la scène. Devenu tailleur, il perpétue la tradition de l’habit vénitien d’époque, qui, chaque année, lors du carnaval s’offre une vitrine grandeur nature. Il est actif sur la scène internationale du cinéma, de l’opéra, du théâtre de la Fenice en tête bien sûr. Sa production avoisine les 15 000 costumes.
L’éblouissement La visite de l’atelier permet de toucher les étoffes et d’apprécier au plus près le travail d’historien et de couturier de Stefano Nicolao, qui a notamment réalisé les costumes des films Farinelli (1994) et de Elizabeth 1ère (1998), des productions aux multiples nominations et récompenses.
Stefano Nicolao, Cannaregio 2590, visite en avril sur inscription via www.homofaber.com
6. Verrerie
Transparences florales
A voir Qui ne connaît pas Venini? Il y a 101 ans exactement que l’avocat milanais Paolo Venini et l’antiquaire Giacomo Cappellin fondaient un atelier de grande ambition artistique, basé sur le savoir-faire séculaire de l’art verrier. Dès le départ, l’idée était de ressembler les esprits les plus créatifs de Venise et on ne compte plus les distinctions que la belle entreprise a cueillies dès lors. L’exposition se centre sur les vases, qui, en eux-mêmes, ouvrent tout un monde de couleurs mouvantes et de transparences. Mais ces pièces sont encore magnifiées par des bouquets conçus par les plus grands artistes floraux.
L’éblouissement La double floraison éphémère ainsi créée promet une ambiance de jardin enchanté. Pour prolonger l’expérience, il est recommandé d’aller se perdre dans les rayons de la boutique phare de Venini, à Venise, au 50 Fondamenta dei Vetrai – ne serait-ce que pour continuer à rêver, les prix étant ce qu’ils sont.
Blossoming Beauty, Fondation Cini.
7. Plumasserie
La légèreté couture
A voir Un espace collectif à l’esthétique inspirée par la peinture d’Antonello de Messine, Saint-Jérôme dans son étude, entraîne le visiteur à la rencontre des artisans les plus pointus des métiers de la mode. Quatorze maisons démontrent là leur savoir-faire (le sertissage par Van Cleef & Arpels, la mosaïque de cuir par Serapian, etc), mais la matière dans laquelle sont taillés les rêves est certainement la plume. La maison parisienne Lemarié est l’une des dernières au monde à travailler ces délicatesses colorées. Fondée en 1880, elle est aussi spécialisée en fleurs textiles, en smocks élaborés et autres virtuosités qui embellissent les tenues. Depuis 1996, Lemarié est devenu un métier d’art du groupe Chanel.
L’éblouissement La robe de mariage hivernale portée par le mannequin Luna Bijl, en finale du défilé AH 2019-2020 de Chanel, était constituée d’une jupe en duvet blanc reproduisant l’effet de la neige poudreuse. La princesse de Peau d’Ane aurait été jalouse…
Genealogies of Ornament, par la curatrice anglaise Judith Clarck, Fondation Cini.
8. Photographie
Le Japon sur le fil
A voir Hôte d’honneur de l’édition 2022 d’Homo Faber, le Japon défend ses métiers d’art avec conviction. Au Pays du Soleil Levant, les artisans les plus expérimentés deviennent Trésors vivants nationaux. La photographe Rinko Kawauchi a saisi les gestes de douze d’entre eux, as de la céramique, de la laque, du tissage ou de la teinture. Les images sont exposées dans cloître aux Cyprès du monastère San Giorgio alors que les objets, douze aussi, sont présentés dans l’ancien réfectoire. C’est là qu’était exposé, le tableau Les noces de Cana de Véronèse, remplacé aujourd’hui par un fac-similé, l’original, butin des conquêtes napoléoniennes, étant au Louvre.
L’éblouissement Sonoko Sasaki (photo), née en 1939 à Tokyo, Trésor national vivant depuis 2005, elle maîtrise les techniques textiles ancestrales du Japon comme la teinture par nouages et le tissage de fils de soie dans la tradition tsumugi, pour produire le pongé (soie sauvage) dont on réalise les kimonos.
The Ateliers of Wonders, Fondation Cini.
9. Miroiterie
Reflet surdécoré
A voir Voilà l’un des plus anciens ateliers de Venise, qui s’ouvre à la visite à l’occasion de la manifestation Homo Faber. AAV Barbini, situé sur l’île de Murano, perpétue la tradition des miroirs vénitiens, si richement gravés et ouvragés. L’entreprise a été fondée en 1927 par Nicolo Barbini, mais la famille s’était fait une réputation des siècles (si!) auparavant pour la clarté et l’absolue limpidité de son verre. Aujourd’hui, les héritiers de Nicolo et leurs six fils sont aux commandes et démontrent les diverses étapes de leur art, du dessin au découpage, en passant par la gravure et l’argenture.
L’éblouissement Dans un intérieur contemporain, la folle inventivité décorative peut créer des contrastes frappants. Mais surtout, on rêve à tous les palais lointains, d’Inde, d’Arabie saoudite, du Maroc, qui ont orné ainsi leurs murs. Jusqu’au palais Royal de Thaïlande.
Av. Barbini, visite en avril sur inscription via le site www.homofaber.com, Calle Dietro gli Orti 7, Murano.
10. Mosaïque
Travail sur le motif
A voir L’art et l’artisanat évoluent dans un dialogue permanent que le designer allemand Sebastian Herkner entend mettre en lumière au travers de l’exposition Pattern of Crafts. Ce dernier invite 18 artisans à réinterpréter le motif géométrique, qui habille le parvis de la basilique San Giorgio Maggiore afin de créer des éléments de décors qui puissent s’intégrer dans un intérieur contemporain.
La diversité des techniques et des matières représentées ici est vertigineuse. Elle va du verre, de la mosaïque au bois, en passant par le papier peint, le métal, le textile et même le tissage d’algues.
L’éblouissement Il serait dommage de ne s’arrêter qu’au parvis de San Giorgio Maggiore – œuvre de l’architecte Andrea Palladio entre 1566 et 1580 – même si la vue sur la place Saint-Marc et la Palais des Doges y est forcément très belle. L’intérieur de la majestueuse basilique vaut la visite au moins pour admirer deux œuvres phares du Tintoret: La manne et La Cène.
Pattern of Crafts, salle Barbantini, Fondation Cini.
Nouveauté: l’esprit artisanal s’échappe de la Fondation Cini et essaime dans Venise où s’ouvrent des ateliers secrets.