Texte Jennifer Segui

Cabanes perchées,
loin de tout.

Sur les hautes cimes ou à la lisière d'une forêt, les minuscules cocons douillets isolés incarnent une version très contemporaine du luxe.

Il est des lieux qui se méritent. La Moutain Hut érigée en Engadine par la marque suisse de chaussures de sport On Running en est un. Après une succession de trains et de bus, il faut encore deux heures d’une randonnée sportive pour atteindre le but, situé à 2500 mètres d’altitude, au milieu de rien. Ou plutôt de tout: un lac qui se confond avec le ciel, cerné de majestueuses montagnes. Que demander de plus? Ce décor grand angle s’offre aux amis de la marque, invités à passer la nuit dans les quelques mètres carrés de cette tiny house haut perchée.

Montée le temps de l’été 2019 au-dessus du petit village de Maloja, près de Saint-Moritz, au cœur des Grisons, cette mini-cabane aux contours high-tech, exclusivement composée de matériaux recyclables, alimentée en électricité par des panneaux solaires et en eau par la source toute proche, chauffée par un poêle à bois et dotée de toilettes sèches, offre un confort que certains qualifieraient de rudimentaire. Mais le bonheur est ailleurs: dans la certitude de vivre un privilège unique.

A en croire les posts et autres vidéos YouTube de ceux qui, dans toutes les langues, racontent leur nuit au-dessus des nuages, l’expérience remporte un plébiscite massif. Couper du bois pour se chauffer, aller chercher l’eau qui ruisselle entre deux roches pour se nourrir et faire sa toilette du matin, cuisiner patiemment son assiette de pâtes sur le poêle, oublier son ordinateur, son téléphone, ralentir dans le silence et l’immensité… Pour Romain Gisselbrecht, chargé de communication pour On Running, le but des créateurs de la marque est atteint avec cette proposition unique qui, après une interruption de deux ans pour cause de pandémie, devrait être renouvelée: «Toutes les personnes qui sont montées à la cabane en redescendent avec le sourire. Il faut croire que la vie simple en montagne plaît!

Un retour aux sources

Pour extrême qu’elle soit, l’expérience est emblématique de la quête d’un nouveau luxe: celui de pouvoir, une nuit ou quelques jours s’extraire de tout. Revenir aux gestes basiques, se retrouver face à soi-même loin du bruit et de la fureur, laisser de côté ce qui fait l’agitation du monde pour mieux se ressourcer… Désormais, de nombreux lieux isolés misent sur cette offre rare d’un retour à la simplicité, en ces temps agités où la distanciation sociale imposée est devenue un art de vivre. Et l’offre s’étend même à l’hiver. Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme, confirme: «Cette tendance à rechercher des hébergements «cocooning» proches ou en immersion dans la nature est apparue il y a une dizaine d’années. Elle est motivée par un désir de vivre une expérience sortant de l’ordinaire et, surtout, de se rapprocher de la nature et de fuir la foule.

Ces souhaits ont encore été renforcés par la pandémie. Se retrouver seuls, loin des écrans, et sans pratiquement aucun autre touriste est un souhait encore plus fortement exprimé lors de vacances ou de congés en cette période de pandémie.» L’envie est si forte que Suisse Tourisme collabore même à une plateforme de réservation de chalets d’alpage isolés (alp.holidaybooking.ch) et s’apprête, cette année, à relancer son opération d’hébergements insolites «Hôtel Mille Etoiles», qui avait remporté un franc succès l’an dernier.

Si la tendance s’accentue fortement, elle n’est pas nouvelle. En Suisse, les Whitepods, ces structures futuristes douillettes amarrées à flanc de montagne à 1400 mètres au-dessus de Monthey, en Valais, ont, il y a une quinzaine d’années, fait office de pionniers, proposant une autre vision du luxe, en dehors des sentiers battus et des standards habituels du genre. En Valais toujours, les époux Buchs, qui viennent de confier à leurs filles les clés de leur charmant hôtel Bella Tola, à Saint-Luc, ont aussi, il y a une dizaine d’années, été les premiers à réhabiliter un mayen retiré pour offrir à leurs clients la possibilité d’un retour à l’essentiel, dans un chalet d’alpage tout en bois et magnifiquement décoré, où le luxe tient dans «le paysage et la simplicité retrouvée». «Au commencement, nous avions repris ce mayen pour nous car, vivant dans l’hôtel, nous avions envie d’un lieu pour nous ressourcer, explique Anne-Françoise Buchs. Mais, travaillant beaucoup, nous y allions peu, et avons commencé à le proposer à nos clients qui ont adoré l’expérience.»

L’été dernier, dans le contexte de la pandémie, l’endroit n’est pratiquement jamais resté vide et les hôtes ont adoré lire, se promener, prendre le temps de cuire un gâteau. «La notion de luxe s’est déplacée vers une expérience plus authentique», remarque Anne-Françoise Buchs.

Une offre de plus en plus élargie

Aujourd’hui, l’offre s’élargit dans ce segment de nid intime pour s’isoler. Là (à Veysonnaz, par exemple, ou à Zermatt), un minuscule chalet loin des pistes. Ailleurs (à Crans-Montana/Aminona), deux mayens élégamment rénovés où ne règne plus que le silence quand les skieurs sont rentrés. Autre piste: les hôtels de grand luxe, comme le Vitznauerhof, à Lucerne, se mettent à créer des annexes dans le parc, où les clients peuvent se lover, comme dans un cocon. L’ Hotel Landgasthof Kemmeriboden-Bad, à Schangnau, dans l’Emmental, a ainsi été jusqu’à créer un igloo tapissé de peaux de mouton pour ceux qui veulent oublier le monde.

Une des récentes expériences les plus abouties dans le domaine de l’authenticité liée à un plaisir esthétique est certainement celle d’Anako Lodge, situé à La Forclaz, dans le val d’Hérens. Ce petit hameau constitué d’anciens bâtiments agricoles, greniers, raccards et granges, réhabilités accueille des couples ou des familles en quête de tranquillité. Imaginés et conçus par l’architecte Olivier Cheseaux pour sauvegarder ce patrimoine vernaculaire valaisan, ces chalets proposent, hiver comme été, un confort épuré magnifié par la nature environnante visible par les baies vitrées. Des mayens accessibles après une petite marche de 250 mètres, dans lesquels, à peine la porte franchie, on se sent bien. Où le rythme ralentit, les tensions s’apaisent pour laisser le visiteur profiter de ces espaces de paix où le paysage s’offre à travers les fenêtres comme un tableau. De quoi donner envie de passer ses prochaines vacances en mode slow life!