Bruts, authentiques, naturels... Les produits de beauté sous forme solide sont toujours plus demandés. Décryptage d'un phénomène qui séduit même le segment du luxe.

Un petit pot a beau contenir la plus magique, la plus douce, la plus séduisante des formules, il peut vite lui arriver des bricoles. Il peut tomber sur le carrelage de la salle de bains et voler en éclats. Il peut se retrouver à tartiner l’intérieur du sac à main, par la faute d’un bouchon mal fermé. Il peut enfin – qui y a échappé? – être confisqué à un contrôle de sécurité à l’aéroport. Alors quoi? Une gamme de produits permet d’éviter ces désagréments et connaît actuellement une vraie flambée d’intérêt. Il s’agit des cosmétiques sous forme solide. En bloc, en cire, en pain… Outre la praticité d’une formule compacte qui ne coule jamais, ce conditionnement entre en résonance avec les préoccupations environnementales qui sont devenues prioritaires pour bien des consommateurs.


Tout a commencé par le savon. Jusqu’à peu, le gel lavant, avec bec distributeur et flacon de plastique, passait pour le summum de l’hygiène chic. Puis le public a réalisé que ces formules aqueuses contenaient des conservateurs et que les contenants finissaient sottement à la poubelle. Massif retour donc vers les savonnettes en bloc, qui permettent un bilan de zéro déchet (pour peu que l’on achète en vrac) et s’avèrent plus économiques au bout du compte, tout en étant porteuses de tradition depuis l’Antiquité. Les savonneries artisanales ont vu leur production exploser et même les grands noms du luxe ont réhabilité le geste mousseux du galet parfumé à se passer sur le corps.


L’option du produit dans le plus simple appareil influence de plus en plus l’industrie cosmétique. Les grandes marques travaillent à minimiser et recycler les emballages, à affiner les formules au plus naturel. Selon l’étude Euromonitor International, citée par le magazine Allure, près de 7,9 milliards d’unités de plastique ont été produites en 2018, aux Etats-Unis, pour les seuls produits cosmétiques – dont 91% ont fini à la décharge, sans aucun recyclage. Autant dire que l’industrie de la beauté est en train d’effectuer un virage sur l’aile pour tenter d’enrayer cet impact écologique peu reluisant. L’essor des produits solides s’inscrit dans cette prise de conscience.


Un des pionniers en la matière est l’entreprise britannique Lush, qui a misé sur les formules compactes dès ses débuts, dans les années 1990. «Nous ne pouvions pas nous permettre de dépenser de l’argent en emballages, explique Rowena Bird, cofondatrice de l’entreprise. Nous voulions tout investir pour les meilleurs ingrédients, alors nous avons commencé à vendre des articles non emballés. Notre clientèle semblait suivre, alors nous avons continué». Les produits vendus nus ont fait leurs preuves et les barres de shampoing solides de l’époque caracolent en tête des ventes, avec une tendance récente à la hausse.


Le shampoing est en effet l’un des premiers produits solides du marché – à côté de la pierre d’alun, dont les puristes connaissent depuis longtemps les effets antitranspirants (même si sa teneur naturelle en aluminium fait débat). Après des débuts artisanaux et une distribution dans les boutiques bios, le shampoing solide gagne le grand public, avec des marques comme Garnier ou Sephora. De nouveaux venus, comme Rowse, un label axé sur la production responsable, jouent aussi cette carte-là. Certes, selon les estimations du site spécialisé Fashion Network, le créneau ne représente que 0,3 % du marché global des soins capillaires (estimé en France à 477 millions d’euros de chiffre d’affaires), mais l’essor en 2020 a été explosif : plus 422% en valeur. Belle marge de progression possible! En attendant, la formule se voit adoubée dans des lignes de luxe comme celle du coiffeur français vedette Christophe Robin. Ce dernier a capté l’air du temps et intégré des barres de shampoings à l’aloe vera ou d’après-shampoings à l’hibiscus dans sa gamme de soins. «Les cheveux doivent d’abord s’habituer au format solide, a-t-il récemment déclaré dans Vogue Allemagne. Mais après quelques lavages, vous ressentez les bienfaits, en termes de texture et de tenue.»

Hydratation en bâtonnet et parfum en cire

De fait, grâce à des formules et textures raffinées, les cosmétiques solides offrent désormais une qualité appréciée de la clientèle la plus exigeante. Un bon exemple est celui des soins en bâtonnet, comme la protection solaire WetForce de Shiseido ou le bâton hydratant aux huiles essentielles de Mac Cosmetics, lequel, selon le maquilleur national Mac pour la Suisse, Ingo Tschenett, fait l’unanimité. «L’huile de camomille et de pamplemousse est tellement concentrée que très peu de produit suffit», assure-t-il.


Outre les soins du visage, les démaquillants moussants et même les dentifrices, les parfums représentent un élégant segment de la cosmétique solide. Une marque de luxe comme Jo Malone London propose une sorte de poudrier contenant une matière cireuse, nommé Palette, qui permet de mélanger et combiner, du bout des doigts, une dizaine de fragrances. Le Labo et Diptyque enchaînent dans la même veine. De nouveaux gestes, pour des rituels de beauté à réinventer. Sans rien renverser.