Pour rendre hommage au bouillonnement créatif de la capitale sénégalaise, la maison Chanel lance un dialogue entre Paris et Dakar, en une magnifique exposition, "sur le fil", qui rassemble artistes et artisans d'ici et d'ailleurs.

Il est planté là. Un baobab géant tout de denim vêtu, avec ses branches qui font virevolter poissons et étoiles, en un mobile douillet. Il ne s’agit pas là d’un jouet surdimensionné, mais d’une œuvre textile qui propose une certaine vision de l’art, de la mode, du plaisir, de l’inspiration et de la récupération. A chacun d’inscrire, sur cette trame, son rapport au vêtement, sa bienfacture, sa longévité.

L’œuvre est signée de la styliste et cinéaste sénégalaise Selly Raby Kane et elle est à voir dans le cadre de l’exposition «Sur le fil», qui s’est tenue à Dakar en début d’année avant de se déplacer à Paris en juin prochain. Il pourrait s’agir d’une exposition parmi tant d’autres, focalisée sur l’art textile. Il n’en est rien. Le vernissage, à Dakar au début de janvier, marque une étape, une vraie reconnaissance du bouillonnement créatif qui anime la scène de la mode sénégalaise et du savoir-faire de ses artisans.

Au cœur du quartier du Plateau, situé au sud de la trépidante capitale, les jardins du musée Théodore-Monod d’art africain représentent de rares îlots de verdure dans la jungle urbaine. C’est là que le baobab a planté ses racines au sein de son étrange forêt onirique. Dans son ombre, une main version maousse, elle aussi en patchwork de jean, donne envie de s’y lover pour jouer les héroïnes d’un King Kong rock’n’roll.


Sally Raby Kane n’était pas la seule artiste à répondre à l’appel de la Galerie du M19, le lieu de la maison Chanel qui rassemble tous les métiers d’art et qui sort ainsi, pour la première fois, de ses murs parisiens. L’exposition compare une quarantaine d’œuvres issues de la collaboration entre 28 créateurs. Mais la composition de jean incarne bien l’esprit de la manifestation, axée sur le métier textile, mais dans sa dimension traditionnelle et presque spirituelle. «Cette mosaïque de denim de récupération, ce bestiaire anatomique de textile et de métal évoque la nostalgie et la spiritualité, expliquait la créatrice lors du vernissage. Il est aussi un clin d’œil au Baye Fall, une confrérie soufie qui porte des vêtements en tissu patchwork.»

Les valeurs humanistes de l’artisanat d’art

Tissus, tradition, histoire, spiritualité, mode… Le choix des œuvres et artistes s’est forcément avéré délicat, comme il l’est toujours quand le monde européen entreprend de mettre en valeur, au-delà des techniques de tissage, de broderie et de teinture séculaires, l’âme du Sénégal, sa richesse créative et les valeurs humanistes de son artisanat d’art.

Le concours de l’IFAN, Institut fondamental d’Afrique noire, s’est ainsi avéré précieux, de même que le travail d’un comité éditorial local, dont Riad Fakhri, directeur de programmation. On y retrouve le travail de 19 Sénégalais et neuf autres artistes venus de France, de Bolivie, d’Afrique du Sud et du Mali. «Notre but a été d’éviter d’importer un projet parisien, explique Riad Fakhri, d’où une programmation très inclusive dans laquelle nous avons fait coexister deux types de métiers, artisans et artistes, et deux lieux, Paris et le Sénégal. Sont ici présents des artistes qui utilisaient déjà des techniques de tissage et de broderie dans leurs œuvres, et d’autres artistes que nous avons mis en relation avec des artisans comme le Français Julian Farade qui a peint des pagnes de coton généralement destinés à porter les bébés avant que ceux-ci soient brodés par la créatrice Khadija Ba et des brodeuses de Meckhe, Ngaaÿ, dans la région de Thiès.»

Dakar, nouveau hub artistique

Si la maison Chanel a voulu nouer ce dialogue privilégié avec Dakar, c’est que le lieu s’impose comme une terre de tradition ancestrale en matière de tissage et de broderie. La collection Chanel des métiers d’art 2022-2023 y a défilé en décembre dernier – sans emprunter aux artisans locaux, juste en hommage. Pour Bruno Pavlovsky, président des activités mode de Chanel et du 19M, «le choix de Dakar par Virginie Viard pour y présenter sa collection Métiers d’art s’est fait à l’occasion de rencontres et d’échanges avec des amis de la maison. Lors de cette annonce, beaucoup ici ont pensé que nous allions collaborer avec les artisans locaux.

Mais ce n’est pas ce que fait Chanel, qui réalise toutes ses collections dans ses propres ateliers. Par contre, nous avons senti une énergie créative, un accueil qui nous a donné envie de prolonger le dialogue en créant un évènement qui serait accessible à tous. Avec l’IFAN, nous avons beaucoup réfléchi en amont à la meilleure façon de mettre tout cela en place, dans le plus grand respect de chacun.»


Créer, exposer, transmettre: tel est en effet le mantra du 19M, inauguré en janvier 2022 dans le XIXe arrondissement de Paris. Sa mission est d’œuvrer à la protection et à la transmission de ses métiers d’art et le bâtiment de 25 000 m2 (signé de l’architecte Rudy Ricciotti) rassemble plus de 600 petites mains de la couture, réparties dans les ateliers de onze maisons, appartenant à Chanel via la filiale dédiée Paraffection: ateliers de broderie Lesage et Montex, plumasserie Maison Lemarié, orfèvrerie Goossens, atelier de couture Paloma, chapellerie Michel… Plumetis et boubous d’art, même combat de préservation. Sus au Paris-Dakar, place au Dakar-Paris.

L’exposition « Sur le fil » de la Galerie du 19M Dakar sera visible au 19M Paris du 17 mai au 30 juillet 2023.

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