L’entrepreneuse pilote avec brio Fusalp, la marque française qui glamourise les tenues de ski. La montagne et l’art sont ses territoires.

Dans la boutique zurichoise, la petite dernière de ses six adresses suisses, Sophie Lacoste passe d’un cintre à l’autre. Là, elle caresse avec tendresse une chapka en fourrure synthétique couleur lie de vin, ailleurs en enfile un merveilleux manteau plus pink que pink, sanglé d’une lanière élastique, inspirée de l’univers du sport. Depuis 12 ans que la marque française Fusapl est entre ses mains, celle de son frère Philippe, un style à la fois technologique et spectaculairement glamoureux s’est imposé sur les pistes aussi allurées que le sont les podiums de mode. Héritière de la famille Lacoste, celle au crocodile, la sportive, entrepreneuse… et comédienne a revêtu un pantalon de ville moulant, aux imprimés très seventies, emblématique d’une marque qui a connu ses heures de gloire sur les corps
d’athlètes mythiques, comme les skieurs Jean-Claude Killy ou Marielle Goitschel. Le nom rappelle d’ailleurs cette vocation, contraction des mots « fuseau » et « alpes ».

Si, aujourd’hui, 60% du chiffre d’affaires tient aux vêtements urbains, l’esprit ski n’est jamais loin. Dans les détails techniques, les textiles à la fois molletonnés et respirants, dans cette structure en smocks qui a assuré l’élasticité avant les tissus stretch : «Un dialogue entre technicité et style», résume Sophie Lacoste. La devise va bien à cette femme de 47 ans, deux enfants adolescents,
poigne déterminée et sourire conquérant. Elle raconte son univers en coups de cœur.

Vous êtes passée de la raquette au ski, quel sport vous décrit le mieux?

Le tennis était un passage obligé, dans la famille, mais le ski est vraiment mon sport de prédilection, très instinctif, en lien avec mes racines savoyardes, du côté de ma maman. Je suis
à ski depuis toute petite, avec une grande spontanéité. Mais au fil du temps, je commence à privilégier le ski de randonnée (photo), pour ce qu’il apporte de paisible, silencieux, presque contemplatif.

Et où le pratiquez-vous?

Nous possédons un appartement à Megève (photo), mais j’adore aussi St-Moritz, qui, pour moi, incarne, les vacances de neige ultimes: des paysages majestueux et une sorte de voyage dans le temps, avec ces maisons traditionnelles qui vous transportent, comme par magie, dans un doux cocon. Et le ski y est fantastique.

Y avez-vous des adresses favorites?

Le Paradisio (photo), à St-Moritz, est extrêmement agréable. A Megève, j’aime m’arrêter au refuge de Porcheret, on y est accueilli en amis. Et cette vue sur le Mont Blanc !

Quel est le modèle que vous portez dans la collection de cet hiver?

J’adore la version imprimée de l’ensemble de ski Cléa. Ma belle-sœur Mathilde, qui dirige la création, a un sens incroyable des couleurs. La marque repose sur le bleu-blanc-rouge historique, mais elle parvient à créer des nuances qui modernisent ces codes avec classe et bonne humeur.

Dans les plus de 70 ans de saga Fusalp – ses premiers fuseaux, ses skieurs médaillés, les premières stations de ski – qu’est-ce qui vous touche le plus?

Je vais vous raconter une anecdote : en ouvrant notre boutique à Oslo, nous avons prévenu un peu à la dernière minute Kaspar Kindem, le jeune skieur norvégien qui fait partie du team que nous soutenons en Europe. Il est venu nous voir, un peu penaud de ne pas avoir eu le temps de passer la veste que nous lui avions offerte. Or il portait sa veste favorite, héritée de son grand-père… et il s’est avéré que c’était une Fusalp. Voilà mon idée de la marque: des pièces tellement fortes et adaptées à leur fonction, que l’on a envie de les porter de génération en génération.

Fusalp est aussi incroyablement montée en gamme, s’émancipant des codes du sport…

Mais sans rien perdre en technologie ! Je pense à nos collaboration (nous en faisons chaque année) avec la marque Chloé ou Pucci, aux couleurs si joyeuses. Barbarella à ski! Nous avons envie d’amener de la fantaisie dans le ski et d’inciter les sportifs à oser la mode. Mais attention: ces collections capsules, à l’instar aussi de la toute récente avec Swarovski (photo), ne sont en rien des pièces de de démonstration, juste bonnes pour instagram! Non: elles sont vraiment conçues pour le ski, de haute technicité. Elles tiennent chaud mais laissent le corps de respirer et surtout elles permettent une totale liberté de mouvements. De vrais succès commerciaux,
aussi.

Depuis quelques saisons, la montagne est devenue le nouveau terrain de jeu des marques de luxe. On ne compte plus les grands de la mode qui proposent des tenues de ski (Vuitton, Chanel, Dior, Fendi…), ni d’ailleurs les boutique pop-up en station, de champagne, de joaillerie. Comment expliquez-vous cette passion soudaine pour l’altitude ?

Je dirais que le phénomène s’est renforcé après la pandémie. Comme tout le monde, les très riches aspirent à un air plus pur, à un rapport différent avec la nature, une certaine vision de la liberté dans un grand espace. Peut-être optent-ils aujourd’hui plus volontiers pour l’authenticité des alpes que pour les Maldives, en hiver… Alors, naturellement, les marques suivent cette clientèle. Et le déploiement hôtelier dans le très haut de gamme, en station, permet aujourd’hui d’accueillir cette clientèle.

Où habitez-vous ? A Paris près de la mode ou Annecy, votre siège, près des alpes ?

L’équilibre entre ces deux pôles est très important, mais c’est à Paris, dans la métropole, que l’on sent au mieux l’air du temps et que le développement à l’international est le plus spontané.
Nos bureaux sont dans le 10ème arrondissement (photo). Le siège, lui, de la maison est à Annecy et c’est là le lieu de tous les développements techniques. Quant à la production, je suis en train de la rapatrier d’Asie en Europe (au Portugal, en Italie pour la maille) mais 50% du travail reste dans les meilleures usines de Chine, près de Shanghai. On cherche les meilleurs sur le marché et leur savoir-faire en textiles technique est inégalé. Comme ce jacquard avec des matières
thermocollée, avec des contre-collage qui rendent le tissu imperméable toute en en assurant la respirabilité.

Et ces smocks si emblématiques de la marque ?

Ils sont vraiment inscrits dans l’ADN de la marque et rappellent les débuts du fuseau, dans les années 1950, quand les textiles extensibles n’existaient pas. Il fallait gagner l’aisance de manière mécanique – le stretch mécanique, soit du tissu cousu sur un élastique.

Vous êtes entrée au Conseil d’administration de Lacoste à 23 ans, puis, quand le groupe a été vendu, vous avez racheté et entrepris de relancer la marque Fusalp. Travaillez-vous à 200% ou vous accordez-vous un peu de temps ?

J’aime la variété, alors oui: je fais beaucoup de choses… Mais ce n’est pas grave, de beaucoup travailler! Ce qui est grave, c’est de ne pas maîtriser son emploi du temps. Je m’organise avec précision et reste toujours maîtresse de mes engagements. Et je ne suis pas du genre à envoyer des emails le samedi à 22 heures: quand vous respectez les espaces horaires de ses collaborateurs, ils respectent les vôtres. Je mets mes priorités et, avec deux enfants de 12 et 14 ans, il faut vraiment se préserver des plages familiales.

Voyagez-vous toujours autant?

Pas tout à fait ! Nous esseyons aujourd’hui d’être plus logiques avec nos déplacements, de rationnaliser plusieurs activités en un seul voyage.

L’envol de Fusalp est spectaculaire : un chiffre d’affaires décuplé en 10 ans, de 6 à 60 millions d’euros…

Effectivement, nous évoluons dans une croissance de 25 à 30% ans, ce qui est un bon rythme pour pérenniser l’entreprise en continuer à investir dans l’innovation. Cela nous permet aussi de rester très vigilants sur les valeurs qui nous tiennent à cœur : la durabilité des matières et la manière dont nous travaillons ces textiles. Nous avons aujourd’hui 250 points de vente et 63
boutiques en nom propre dans le monde… Et 250 employés!

Dont 6 boutiques en Suisse, à Crans, St-Moritz, Verbier, Gstaad, Zermatt et maintenant Zurich. Quelle est l’importance de ce marché ?

Très grande! Par sa proximité avec les alpes, la Suisse comprend vraiment ce qu’est le ski. Et le style de vie suisse, avec ce rapport au grand air, l’importance du sport, du golf aussi, correspond bien à l’esthétique Fusalp. Regardez les rues de Zurich: les tenues des gens sont plutôt sobres, sans fioritures: chic et technicité. L’enjeu pour nous est surtout de trouver les emplacements stratégiques.

Comment décrivez-vous le secret du succès Fusalp?

Nous avons transporté l’univers du sport en ville : 60% de notre chiffre d’affaires vient de là. Notre best-seller est le manteau imperméable Gezy (photo). La matière est extraordinaire, vous pouvez prendre votre douche avec et vous serez sèche. Le ski représente nos racines, notre identité… et la validation technique de nos vêtements. C’est là que les pièces sont mises à
l’épreuve, en matière de praticité et de confort. Ensuite, cette technologue est transportée dans un registre élégant et urbain. C’est très recherché dans l’univers de la mode actuellement,
même un prérequis, alors qu’il y a peu «confort» y passait encore pour un gros mot.

Vous avez été comédienne, à la tête d’une compagnie durant 10 ans. Quels théâtres fréquentez-vous ?

Je suis une grande admiratrice du Festival d’Automne, à Paris, qui propose une programmation visionnaire, qui confronte danse, théâtre, arts plastiques… en 15 lieux différents. L’événement existe depuis 1968 et reste d’une très grande tenue. En septembre dernier, par exemple, le chorégraphe américain Trajal Harrell a dansé dans la rotonde de la Bourse du Commerce (photo). Une idée merveilleuse ! L’espace est très petit et permet une grande proximité avec les danseurs. Et je vais peut-être vous étonner, mais je suis avec passion le programme du théâtre de Vidy, à Lausanne. Je connais bien son directeur Vincent Baudriller et je vois au moins trois
spectacles par saison.

Un spectacle qui vous a marqué, ces derniers temps?

J’adore l’humoriste romande Rébecca Balestra. Ses stands up sont phénoménalement drôles, très puissantes, je pourrais le voir et revoir.

Vous êtes aussi très impliquée dans Porosus, le Fonds de dotation familial pour jeunes talents. Quelle trajectoire vous a le plus touchée ?

Oh, il y en a beaucoup, dont Rébeca Bellestra, qui a été l’une de nos lauréates. Mais je pense aussi à la numéro deux mondiale en surf, Joane Defay : quand nous l’avons rencontrée, il a y 7
ans, elle n’avait pas les moyens de partir en compétition. Sans nous, elle aurait sans doute dû abandonner… Voilà vraiment des trajectoires qui font plaisir. Ou ce jeune tennisman qui a
gagné Rolland-Garos junior et qui est maintenant, à 19 ans, est 60ème mondial. On lui tient les pouces ! Beaucoup de nos lauréats ont aussi fait carrière dans le théâtre, dont par exemple
Chloé Dabert, directrice du théâtre de Reims. Ma tante Catherine Lacoste (photo), qui a gagné l’US open en golf, dit toujours que si elle a pu gagner, c’est qu’elle a commencé par pouvoir y
aller…

Question personnelle pour finir : un endroit qui vous tient à cœur et dont vous ne pourriez pas vous passer ?

Le Pays basque, St-Jean de Luze… J’y trouve un sentiment d’appartenance. La sensation d’y être chez soi.