Les nouvelles collerettes à plis rompent radicalement avec les saisons passées, très focalisées sur l'attitude sport. Place aux allusions historiques et au port altier.

Plutôt plumes de marabout ou cuir? Ou plus classiquement dentelle? Quelle que soit l’option (inspiration Valentino, Dior ou Chanel par exemple), le cou gracile des amoureux de mode aspire à se parer d’une fraise cet automne. Une fraise? Et comment! La corolle froufroutante et plissée s’impose comme une rupture radicale avec la décontraction bravache de ces dernières saisons. A l’instar des femmes Karens de Birmanie et de leur cou sanglé de spirales en laiton, il s’agira, cette saison, de marcher tête haute et regard fier. En revanche, le col en fraise n’a rien d’un outil de sujétion. Accessoire royal s’il en est, il porte en lui tous les attributs de la noblesse – grandeur et décadence. C’est une histoire chargée qu’il sera question d’arborer sous le menton. Particulièrement pratique, dans le bus du matin…

Si les modèles les plus spectaculaires de cette rentrée 2025 sont issus du défilé Dior, c’est que la directrice artistique Maria Grazia Chiuri a voulu rendre hommage à la fois à ses prédécesseurs à la création de la maison – surtout Gianfranco Ferré – et au roman historique «Orlando», de Virginia Woolf. Savait-elle que ce défilé était son dernier à Paris sous l’égide Dior? Toujours est-il que sa mise en scène fastueuse ressemble à un testament stylistico-philosophique, où il est question de fluidité des genres, de profondeur sentimentale et littéraire, d’héritage historique à assumer et détourner.

1570: Portrait de Charles IX, roi de France, avec un col fraise seyant encore raisonnable.

La fraise donc: à l’origine, à la Renaissance, un petit col blanc s’est pris à émerger, polisson, des corsages, comme un aperçu des dessous intimes. L’accessoire avait initialement une vocation utilitaire, puisqu’il se détachait des vêtements, permettant un nettoyage régulier. L’idée, d’ailleurs, aurait été ramenée par des voyageurs d’Inde ou de Ceylan, pays dans lesquels les hommes enduisaient leurs cheveux d’huile et avaient inventé des cols de mousseline empesés à l’eau de riz pour protéger leur veste. Or, dès les années 1560, ce petit bout de tissu ne cesse de s’enhardir, au masculin comme au féminin, essaimant des Pays-Bas à l’Angleterre, puis au reste de l’Europe. Vers 1575, les petits frisottis se mutent en invraisemblables plateaux à godrons, dont l’ampleur est encore rehaussée verticalement par des plis cascadant avec toujours plus de véhémence, éventuellement disposés en plusieurs rangs. A ce stade, l’image de la fraise, le fruit, dont la petite tête surmonte sa corolle de feuilles, est largement dépassée. Les rieurs parlent plutôt de roues de chars ou évoquent la tête de Jean-Baptiste que, dans la Bible, Salomé présente à Hérode sur un plateau.

XVIIIe: Les portraits d’inspiration historique (ici, « La liseuse », de Fragonard, environ 1770) relancent le col fraise.

C’est que le col à plis est devenu un symbole de statut social. La reine Elisabeth Ire (nous revoilà dans le roman «Orlando») s’est particulièrement distinguée par l’extravagance des métrages de dentelle qu’elle faisait amidonner et plisser par de savantes techniques de gaufrage. Catherine de Médicis, elle aussi, n’a cessé de poser, face aux peintres, avec des cols de plus en plus exubérants. Broderie, passementerie, rubans, fil d’or, incrustations de perles: rien n’est trop beau pour affirmer son rang. Et pour se mettre en valeur. «Il ne faut pas oublier non plus que les gens se vêtaient de manière très couvrante, relève Elizabeth Fischer, professeure associée spécialisée en histoire de la mode à la HEAD, la Haute Ecole d’art et de design de Genève. La tête et les mains étaient les seules parties du corps visibles et il s’agissait donc de les mettre en valeur. De les encadrer, en quelque sorte. Les ruchés aux manches relèvent du même principe.» Sans compter que, sur des tenues essentiellement noires, ces corolles blanches apportaient la touche de lumière nécessaire à un teint seyant. «Presque une auréole!» sourit Elizabeth Fischer.

1813: Sous le Premier Empire, dans le « Journal des dames », les gaudrons sont du dernier chic.

Évidemment, cette folie délicieusement absurde finit par retomber comme un soufflé au courant du XVIIe siècle. Il faut dire que l’accessoire devenait vraiment encombrant, avec souvent des structures de métal et de carton pour en assurer l’horizontalité. On a ainsi vu apparaître des versions ouvertes sous le menton et disposées en éventail derrière la nuque, ce qui permettait au moins de s’alimenter sans trop de contorsions. L’affaire devenait aussi compliquée à gérer, avec une foule de lois somptuaires, qui codifiaient les métrages et les virtuosités d’exécution autorisées selon les rangs de noblesse. Pas question qu’un marquis usurpe les privilèges d’un duc, par exemple. «Ces lois relevaient aussi d’un protectionnisme commercial, qui limitait les importations de certains matériaux», précise encore Elizabeth Fischer. Les rivalités en matière de beauté et de statut social se sont donc reportées sur d’autres terrains vestimentaires, au fur et à mesure que les habits se mettaient à décliner les couleurs et que les décolletés s’enhardissaient.

1930: Les débuts de la haute Couture (ici un modèle de Jeanne Lanvin) aiment les volutes généreuses de la fraise.

Toujours un accordéon au cou

Mais la fraise n’a pas dit son dernier mot pour autant. Elle s’est réincarnée de-ci, de-là, parfois en collerette plus discrète, occasionnellement en froufrou lointainement apparenté, comme le jabot de dentelles au XIXe siècle. Sous le Premier Empire, le petit col plissé a opéré un timide retour, sans doute par l’entremise des portraits d’inspiration historique: les nobles aimaient se faire représenter de manière nostalgique, en tenues d’époque… Et le modèle s’est un peu échappé du tableau, pour se greffer sur les tenues contemporaines. L’impératrice Joséphine a, elle aussi contribué à populariser cette mode à la cour, au féminin comme au masculin. C’était reparti pour un petit coup d’amidon…

2008: Les cols spectaculaires (ici Martin Margiela) la réinterprètent.

Au XXe siècle aussi, les extravagances plissées au cou ont connu de beaux jours. Ces volutes spectaculaires étaient hautement inspirantes pour la couture, comme le démontrent ces silhouettes des années 1930, chez Jeanne Lanvin ou Elsa Schiaparelli. Plus tard, à l’orée des transgressives années 1970, du côté de Carnaby Street, à Londres, les artistes pop comme leurs fan-clubs ont eux aussi puisé dans ce vestiaire romantique pour marquer leur différence face au conformisme ambiant. Ringo Starr, le plus déluré des Beatles, n’a peut-être pas porté de fraise stricto sensu, mais on l’a souvent vu avec des fanfreluches ondoyantes autour du cou. «Entre-temps, la fraise avait acquis une connotation très féminine et ces années éprises de liberté marquaient les premiers emprunts masculins dans les garde-robes des femmes», souligne Elizabeth Fischer.

Chanel, 2025.

Retour au présent. Quelle inspiration ce col empesé de la Renaissance peut-il encore représenter aujourd’hui, outre quelques flamboyances sur les podiums? Clémentine Lejeune, 23 ans, termine à peine son master à la même HEAD de Genève et prépare son défilé de fin d’études pour novembre. Sa passion: le blanc historique, cette gamme de tenues de dessous, ancêtres de notre lingerie. On retrouve là les chemises, les culottes, les manchettes et toute une série de cols amovibles, dont les fameuses fraises. «Je suis très sensible à ces pièces intimes qui sortent au grand jour et reflètent des savoir-faire artisanaux précieux à préserver», explique-t-elle, fascinée par la dentelle, la broderie, le crochet. Les cols surtout lui semblent proposer un extraordinaire champ d’exploration, eux qui illuminent tant le visage qu’ils modifient toute la silhouette. «J’imagine un choix de cols ouvragés à poser sur des hauts plus neutres, explique-t-elle. De petites pièces de belle facture, à s’offrir comme de petits trésors.» Alors? Un délicat col pour habiller son cou cet automne? Comme un plaidoyer pour un artisanat à réhabiliter.