Le directeur de Création de la beauté Hermès évoque son amour de la couleur et de sa Grèce natale.

Tellement chic et délicat… Quand il parle de ses inspirations, l’artiste cherche le mot juste, l’image la plus parlante, comme un peintre mélangerait ses pigments pour obtenir la nuance adéquate. Depuis 2022, Gregoris Pyrpylis chapeaute la création du département Beauté de la maison Hermès, cette récente ligne de maquillage qui émerveille par son approche ludique et audacieuse.

Si les textures et les coloris sont de lui, les boîtiers en laque sont conçus par le designer Pierre Hardy et les senteurs par la parfumeuse Christine Nagel. Au final, ce collectif ne cesse d’enrichir un univers de sensualité et de joie. A près de 40 ans, le natif d’Agrinio, en Grèce occidentale, a travaillé avec les plus grands noms de la mise en beauté depuis son arrivée à Paris, il y a quatorze ans. Il y a forgé une conviction: «Je ne crois pas du tout aux tendances. Le maquillage ne devrait pas être un automatisme. J’y vois une quête de singularité, de liberté, une envie d’explorer qui on est vraiment.»


Votre produit favori pour l’automne?


J’adore la palette d’ombres à paupières (photo), qui rend hommage à l’art du dessin: le visage comme une toile, sur laquelle poser ces couleurs un peu nocturnes, mystiques, qui reflètent magnifiquement la lumière.

Quelle est votre histoire personnelle avec la couleur?

Une relation irrationnelle et grisante. Je laisse parler la couleur. J’ai aussi grandi avec le peintre Alekos Fassianos, dont les dessins (photo) illustraient les livres d’école. Il est merveilleusement libre, faussement naïf. Il faut visiter son musée, à Athènes.

Et l’importance des paysages grecs?


Très certainement le temple de Poséidon (photo), qui se trouve au cap Sounion, à environ 40 minutes en voiture au sud d’Athènes. Voilà un lieu extraordinaire que j’ai découvert à 18 ans, quand j’ai déménagé à Athènes. J’y allais, même en hiver, tant le temple est beau, au sommet d’une colline, avec une vue magnifique sur la mer. A nouveau, le soleil, la lumière, font là leur magie. Je vous conseille de rester autant que vous le pouvez pour voir ces changements de lumière.

Et aujourd’hui ? Aimez-vous vivre à Paris ?

Je ne vais pas cacher que cela a m’a pris du temps. Quand je suis arrivé, j’avais 26 ans, je ne parlais pas en français. C’était assez difficile, parce que je suis très attaché aux contacts avec les gens autour de moi. Aujourd’hui, après près de 14 ans, je suis très heureux et je vois Paris comme ma ville. Je me sens à 100% français ou parisien, mais quand je suis en Grèce, je ne me sens pas à 100% grec.

Quels sont vos lieux favoris à Paris?

Je vis sur la rive gauche et j’aime beaucoup son calme. Je vais très régulièrement au musée Rodin, un endroit magnifique qui m’apaise et m’inspire. J’ai aussi un lien fort avec le musée Bourdelle, derrière la gare Montparnasse. Le travail artistique de ce disciple de Rodin est extraordinaire, aussi très inspiré de la Grèce antique, de ses dieux. Voilà on y revient… Le charmant jardin est accessible même sans tiquet d’entrée. Je n’y vais pas chaque week-end, mais très souvent, quand j’ai envie d’un peu de tranquillité, de sérénité.

Une fleur à offrir?

J’adore les pivoines (photo), même si elles ne sont disponibles qu’au printemps. Après tout, c’est aussi la nature éphémère de fleurs qui les rend si magnifiques. J’aime cette forme de boule qui explose et partage sa beauté avec tous ceux qui l’entourent. Comme une rose, mais plus rebelle. L’autre fleur que j’adore – et qui n’est pas
vraiment une fleur, plutôt un arbre – est le mimosa. Quelle couleur éclatante! C’est lié aussi à mon enfance, à mes grands-parents qui avaient cet arbre extraordinaire dans leur jardin, à trente minutes de chez nous. Je leur rendais visite chaque week- end et je ramenais un petit bouquet pour ma maîtresse d’école, qui en ornait la classe.

Êtes-vous un amateur de design?

Bien sûr! Mon goût de l’épure se nourrit des statues cycladiques (photo), ces figures  de marbre très élancées avec des visages triangulaires sans être acérés. Elles ont d’ailleurs inspiré Modigliani, Brancusi…

Et un artiste contemporain?

Sans hésiter Ronan Bouroullec. Je pense à son mobilier pour la chapelle du mont Saint-Michel de Brasparts (photo), en Bretagne: ces formes fondamentales, le cercle, la croix, dégagent une puissance spirituelle exceptionnelle. Je ne suis pas forcément porté sur la religion, mais je pense qu’une telle dimention méditative peut toucher tout le monde. 

La Beauté Hermès est un travail collectif à trois : vous pour les textures et le couleurs, Pierre Hardy pour tout ce qui relève de l’objet et Christine Nagel pour les senteurs. Comment fonctionnez-vous à six mains ?

Il faut garder en tête que la ligne Beauté est le fruit d’un collectif artistique. C’est un travail en commun parce que l’application, le maquillage, comme les matières ont besoin d’être guidées par l’objet, qui relève de l’expertise de Pierre. Christine est là pour amener le parfum qui vient élever le propos. Cet aspect est clé pour la réussite d’une collection, elle doit accompagner, sans prendre le dessus. Nous échangeons tous les trois à chaque étape de la conception.

Vous vous voyez beaucoup physiquement ?

Oui, je dirais qu’avec Pierre, on se voit deux fois par mois et avec Christine, on partage les mêmes bureaux à Paris. C’est facile. Parfois, il nous arrive de vraiment sortir du chemin, de prendre une direction radicalement différente de ce qui était prévu. C’est cela ça qui est beau. Ce travail réalisé tous les trois ensemble reste guidé par Pierre-Alexis Dumas, le directeur artistique de toute la Maison Hermès, qui est là aussi pour avoir un œil sur tout: est-ce que chaque collection, est-ce que chaque couleur, est-ce que chaque objet, apporte sa pertinence, à l’édifice ? Reflète- t-il l’ADN de la Maison?

Justement ! Comment s’établit le lien entre l’ADN d’une maison qui a quand même été basée historiquement sur l’élégance du monde équestre et le domaine de la beauté ?

Vous savez, quand quelqu’un de nouveau arrive chez Hermès, personne ne va l’asseoir et lui enseigner les codes de la Maison. Cela se passe autrement, de manière plus intuitive: chacun aspire, de manière individuelle, à relier, à comprendre, à chercher dans les archives. Alors je vais vous donner ma version: Hermès puise ses racines dans le travail, dès 1837, de Thierry Hermès avec les harnais et les selles. S’il s’est imposé avec ses création, c’est qu’il a senti et créé un lien très fort entre l’humain et le cheval. Avec ses créations sellières, il n’a pas seulement libéré le cheval au lieu de le contraindre, mais il l’a rendu beau. Il a introduit l’esthétique de la fonctionnalité. La beauté s’est inscrite d’une manière très naturelle, au cœur de chaque détail.

Le maquillage est donc une évolution de ce principe…

Aussi parce qu’il ne s’agit pas de simple beauté physique. Plutôt d’une beauté émotionnelle. C’est du moins dans ce sens que je travaille. Mon intention, avec Hermès Beauté, c’est que chaque objet, chaque couleur, chaque texture, dégage la sensation de l’unique, du précieux. D’un moment à part.

Pour revenir à Hermès, quelle est la silhouette, dans la collection automne- hiver 2025, qui vous touche le plus ? Qui correspond le mieux à l’esprit avec lequel vous abordez à l’art du maquillage ?

Je pense à cette tenue très sobre et très sombre, comme un retour aux essentiels. Le mannequin est tout en noir, pullover col roulé et veste tellement graphique, en cuir assez brillant, avec des boots et un pantalon noir… La silhouette se fond dans le décor, mais signe une femme forte et assurée. J’y vois une figure classique réinventée. Nadège Vanhee-Cybulski, la directrice artistique, a introduit une vraie modernité avec cette posture très radicale. Je verrais bien cette femme porter à la fois de tels looks, mais aussi se maquiller avec notre nouvelle collection. Il y a là comme une évidence.