Les maisons de mode prestigieuses sont toujours plus nombreuses à s'élancer sur les pistes. Le ski et la neige, comme ultimes refuges du luxe.

Mademoiselle Chanel, dans les années 1930, était une fervente adepte des sports de neige et avait ses habitudes à Saint-Moritz. Les photos d’époque la montrent les mains dans les poches de son pantalon à côtes, une écharpe blanche au cou, parée pour le ski et la luge. La tenue sportive portait sa patte, naturellement, et répondait déjà à cette double exigence de confort et d’élégance dont se revendiquent aujourd’hui toutes les marques chics qui s’aventurent dans le domaine du sport d’hiver. La légitimité de la grande Gabrielle dans le domaine du plein air a incité Karl Lagerfeld, en 2018 déjà, à lancer une collection annuelle Coco Neige, qui conjugue les codes de la maison à ceux du ski.

Cette saison, Chanel va jusqu’à s’installer au cœur de la station de Gstaad, dans une boutique éphémère sise dans un chalet en bois du début du XXe siècle: sur 120 mètres carrés et deux étages, l’allure coupe-vent et cache-oreilles va côtoyer, dès le 18 décembre, les traditionnels univers de parfums et de bijouterie. L’inspiration de cet hiver, la créatrice Virginie Viard est allée la puiser dans l’esthétique du patinage artistique, avec des leggings et des combinaisons ouatinées, des parkas et des gilets sans manches, réalisés dans un satin technique déperlant ultraléger. Outre les noir, blanc, beige et marine emblématiques de la maison, un joyeux fuchsia vient ponctuer ces tenues d’une touche résolument festive.


Mais Chanel n’est pas la seule marque à s’élancer sur les pistes. Son exemple fait boule de neige et on ne compte plus les noms prestigieux qui s’inscrivent sur les combinaisons de ski. Les vêtements techniques Fusalp ont aussi soutenu ce mouvement. La marque française qui a équipé bien des compétiteurs de ski depuis les années 1950 (le nom vient de la contraction des mots «fuseaux» et «Alpes») s’est vue relancée, en 2014, dans un nouvel esprit d’élégance, avec une claire montée en gamme et en joie de vivre. C’était après le rachat de l’entreprise par Sophie et Philippe Lacoste, ainsi qu’Alexandre Chauvet (oui, trois anciens de la marque au crocodile) et le succès est résolument au rendez-vous avec cette envie de montagne version classe. «Je dirais que l’attrait de la montagne s’est encore renforcé durant la pandémie, explique Sophie Lacoste. Comme tout le monde, les très riches aspirent à un air plus pur, à un rapport différent avec la nature, une certaine vision de la liberté dans un grand espace. Peut-être optent-ils aujourd’hui plus volontiers pour l’authenticité des Alpes que pour les Maldives, en hiver… Alors, naturellement, les marques suivent cette clientèle.»


La piste a d’ailleurs été préparée par l’hôtellerie et l’offre en gastronomie, comme le relève Marie Dupin, directrice business mode et lifestyle pour l’agence de conseils Nelly Rodi, dans le magazine économique français Les Echos: «Le visage des stations de sports d’hiver a beaucoup changé ces dernières années, explique-t-elle. Pour certaines, on trouve désormais plus d’hôtels cinq étoiles qu’à Paris et des restaurants étoilés sur les pistes. Il y a une montée en gamme de ces stations devenues hyperluxe et donc de toute l’expérience client autour. Cela passe aussi par la tenue et le matériel. Ce phénomène a donné naissance au repositionnement de marques spécialisées, comme Fusalp ou Moncler, mais aussi au lancement de collections de ski de la part de maisons comme Chanel ou Giorgio Armani, destinées à des consommateurs riches et exigeants.»


A Saint-Moritz, la boutique Dior va bel et bien transporter Paris en altitude. La collection DiorAlps propose vestes de plumes, parkas, combinaisons et bottes de l’après-ski frappées du beau motif «Plan de Paris», en noir et blanc, que la directrice artistique Maria Grazia Chiuri a déjà présenté sur sa ligne de prêt-à-porter et sur les bien-aimés cabas: une ancienne carte géographique reprend et modifie ainsi le thème de la toile de Jouy emblématique de la maison.

Logos en altitude

Pour une clientèle désireuse de davantage de discrétion, la marque italienne Loro Piana propose, elle, une vision de la montagne basée sur les matières et les tons naturels. Son atout majeur demeure le merveilleux cachemire, mais l’appel des altitudes l’a incitée à développer le cashfur: une matière chaude et douce à l’extrême, qui mélange cachemire et soie, dans un effet pelucheux.


De son côté, Armani, présent avec sa boutique à Saint-Moritz depuis 2014, a développé sa ligne Armani Neve en 2021. En décembre 2022, la maison italienne a même mis en scène un défilé itinérant en haute altitude, avec pléthore de miroirs pour refléter le paysage changeant. Après Saint-Moritz, le show s’est déplacé à Megève, Verbier puis Courchevel, le tout accompagné d’un don à l’organisation MortAlive, qui œuvre pour la sauvegarde des glaciers. Cette année? C’est parti pour des vestes volumineuses inspirées des steppes, des minicapes en agneau, des lainages à l’aspect fourrure et des combinaisons de ski couleur peau. Beaucoup de noir et de beige, avec quelques touches de rosé et d’abricot pour le contraste.


La maison italienne Fendi, une des pionnières, en 2016, dans cette approche des pistes, mise cette année sur des vestes réversibles dans des tons éteints, comme le tabac, l’anthracite ou l’écru, dans des matériaux respirants et imperméables, en partie réalisés à base de fibres recyclées. La fourrure est traditionnellement un point fort de la maison mais, cette année, elle se voit parfois remplacée par des détails duveteux, réalisés en laine.

Les grandes maisons de mode partent à l’assaut des sommets, comme la maison Chanel qui a imaginé toute une gamme d’accessoires pour se tenir au chaud.


Reste évidemment le leader du luxe à la française, Louis Vuitton. La marque est solidement implantée tant à Gstaad qu’à Saint-Moritz ou Crans Montana. Ses tenues de ski, souvent très logotées, y dévalent les pistes depuis 2021. Cette saison, la palette sportive classique est à l’honneur avec des rouges et marine vibrants, mais aussi des bleus glacier et des blancs neigeux. Les initiales LV sont aussi fièrement assumées, tout comme le monogramme en forme de fleurs… ou serait-ce davantage des étoiles des neiges?


Avant d’enfiler leur tenue de lumière et d’attaquer la poudreuse, les âmes sportives feraient bien de se rendre à Paris. Au Musée des arts Décoratifs, l’exposition «Mode et Sport» (jusqu’en avril) explore cette relation intense et passionnée qui unit le culte du corps, le prestige social et les marques de mode. Un chapitre entier s’y préoccupe des sports de neige et le visiteur en sort rêveur, comprenant (encore) un peu mieux pourquoi cette nouvelle veste de ski lui fait soudain tellement envie