Conçu dans un but purement utilitaire, le bus VW sera de toutes les révolutions sociales, de l'arrivée de la société des loisirs au dynamitage hippie. Empreint de nostalgie, il séduit les nouvelles générations en quête d'évasion.
Eté dernier: Jessica et Etienne emmenaient leur tribu de 6 enfants dans un roadtrip qui, en trois semaines, allait leur faire parcourir les 26 cantons suisses… Une aventure familiale dans le droit fil des équipées cinématographiques. A leurs yeux, les seuls véhicules possibles pour rallier efficacement le Klöntal, à Glaris, ou Courtelary, dans le canton de Berne, ne pouvaient être que deux bus VW T4, des increvables de 1998. Increvable, c’est bien le mot qui vient en tête lorsqu’on pense à cet utilitaire sorti des chaînes de montage de Hanovre il y a 70 ans et qui n’a rien perdu de son aura mythique construite au fil des ans.
Un mythe dont l’origine est double, prolétaire et capitaliste: d’un côté, les ouvriers de l’usine de Hanovre modifient quelques VW Coccinelle, qu’ils transforment en utilitaires à tout faire; de l’autre Ben Pons, un businessman hollandais en visite, qui est aussi le premier importateur au monde de la petite voiture du peuple. En 1947, ce dernier élaborera un petit dessin du véhicule utilitaire qui lui vient alors à l’esprit et le présente à la direction de Volkswagen. Trois ans plus tard, la première version du Type 2 est présentée au Salon de l’Auto de Genève. Type 2? Tout simplement parce qu’il s’agit du deuxième véhicule commercialisé par VW, après la Coccinelle. C’est ainsi que, dans ce monde d’après-guerre, alors que de multiples marques lancent des centaines de modèles – on pense notamment au fourgon Type H, de Citroën –, le constructeur allemand connaît le succès à ses deux premiers essais.
Car c’est un succès, le Type 2 Transporter 1, avec son pare-brise en deux parties, son moteur arrière et sa cabine avancée qui permet de profiter d’un plancher totalement plat pouvant supporter 790 kg, constituant une plate-forme à partir de laquelle toutes les déclinaisons sont possibles, de l’ambulance à la camionnette de maraîcher. On s’en doute, toutefois, ce profil de cheval de trait n’est pas celui qui a attiré l’attention du monde.
En 1951 sort la version mini-bus bicolore à doubles portes opposées, dotée de 23 – puis 21– fenêtres et pouvant emporter de
7 à 9 personnes. Mais quel pourrait être le destin d’un tel modèle, dédié aux loisirs et à la détente, dans une Europe en pleine reconstruction? Une fois encore, le Néerlandais Ben Pons pousse à la roue. Il est l’un des premiers à exporter le véhicule aux Etats-Unis. Seule puissance à sortir intacte de la Seconde guerre mondiale, le pays est en train d’inventer le style de vie qui va conquérir le monde: la société des loisirs. Le bus VW tombe à pic.
L’évasion à la portée des classes moyennes
Bien vite, le Split, comme on l’appelle là-bas, en référence à son pare-brise en deux parties, devient une figure de plus en plus courante sur les routes et les plages californiennes. Mais la légende s’affole encore avec les aménagements du modèle en camping-car. Dès 1951, l’équipementier allemand Westfalia produit des bus aménagés: lit clic-clac, table rabattable, fauteuils et rangements divers, également livrables en kit à poser soi-même… C’est l’évasion à la portée des classes moyennes, celles qui montent en puissance!
En 1954, Westfalia sort sa deuxième version de la camping-box, dite Export, qui propose pour la première fois un habillage complet et une trappe de toit. Cette dernière, déployable à l’arrêt pour agrandir l’espace disponible, ne cessera de prendre de l’ampleur au fil des ans, permettant d’abord d’y accrocher un hamac pour les enfants, puis de véritables couchages supplémentaires.
Dès lors, le bus VW est partout. Durant 20 ans, jusqu’en 1967, il ne changera que peu de visage. Son ubiquité sur les routes permet à son design de ne pas trop souffrir du temps, tandis que les versions es plus anciennes deviennent accessibles, même aux porte-monnaie les plus plats. Et c’est justement ce qui caractérise toute une génération de jeunes gens. Ils n’ont pas connu la guerre et la société qu’ont construite leurs parents, faite d’abnégation et de sérieux, leur semble étriquée. Ils vont s’appliquer à la dynamiter sans pitié.
Flower power! Musique, littérature et style de vie vont clamer à la face du monde l’envie de liberté des jeunes chevelus. Outre l’opposition à la guerre du Vietnam, la montée du féminisme et la volonté d’abolir les inégalités raciales, ce vent nouveau va aussi chambouler le bus statutaire de la génération précédente.
Repeint aux couleurs de leurs envies, il devient le symbole roulant de la génération hippie. En 1969, à Woodstock, le groupe Light réussit à introduire son bus VW dans l’enceinte de ce festival qui marquera plusieurs générations. Comme l’évoque Eric Grandsagne, dans son ouvrage paru l’an dernier (lire page précédente), le véhicule avait nécessité six mois de préparation de la part de son concepteur, l’artiste Bob Hieronimus. Il était couvert de symboles mystiques et ésotériques, de formes psychédéliques et peint de couleurs vives. Photographié par le magazine Rolling Stone, quelques mois plus tard, il sera pour beaucoup dans la popularisation du style hippie. Dès lors, le VW entre dans l’imaginaire populaire et devient une force évocatrice dont s’empare le cinéma, qui met très largement le combi et ses déclinaisons à l’écran.
A en croire le site Movie Cars Database (IMCDb.org), qui recense les véhicules à l’image dans les films, séries ou clips, le Split seul y apparaît plus de 1000 fois. Parfois, comme dans Little Miss Sunshine (2006), la camionnette est même à l’affiche: un combi jaune, VW T2, successeur du Split.
Dès 1967, VW lance en effet une version actualisée de son best-seller, plus rond, plus seventies, avec un pare-brise d’une seule pièce, mais toujours un moteur arrière. Ce sont les années Katmandou. Lorsqu’on a 20 ans en ce temps-là, on rêve de partir sur les routes, vers l’Orient sur les traces de Nicolas Bouvier ou d’Ella Maillart.
Pour ceux qui restent, le Combi semble être partout. Avant la déferlante des mini-vans japonais, en effet, de La Poste à la TV nationale, en passant par les artisans et l’armée, le bus VW monopolise le transport léger. Le tournant des années 80, avec un T3 plus carré et une concurrence enfin plus féroce, marque la fin du particularisme marquant des Combi qui, dans les versions ultérieures perdront même leur moteur à l’arrière et rentreront dans le rang d’une production en ligne avec les standards internationaux. Ils laisseront dès lors un peu de place à des propositions originales, comme ce camping-car, tiré de la production moderne de Citroën, mais recarrossé pour évoquer furieusement le Type H des années 50, nez camus et tôle ondulée compris.
Aujourd’hui, le modèle California – véritable mini-camping-car avec frigo, climatisation, ordinateur de parcage, caméra de recul, régulateur de vitesse et sièges chauffants – séduit les nouvelles générations, au premier rang desquelles les surfeurs, grimpeurs ou coureurs de trails. Les premiers veulent en tout temps être au plus près des vagues, les deuxièmes au pied des parois les plus vertigineuses et les derniers immergés dans leur terrain de jeu sauvage. Le California est devenu le symbole d’une nouvelle définition de la liberté, associée cette fois aux sports funs, plutôt qu’aux voyages au long cours.
Un nouveau souffle
La pandémie actuelle a encore donné du souffle à ces véhicules de camping légers qui permettent de s’offrir un brin d’évasion, une sensation d’aventure en toute sécurité, loin des foules. Sans compter l’envie de nature, de sauvagitude et l’aspiration à une vie plus sobre et minimaliste qui flottent aussi dans l’air du temps.
Ces désirs contemporains trouvent concrétisation dans l’escapade en fourgonnette aménagée. Les réseaux sociaux sont évidemment une aubaine pour appuyer la démarche et mettre en image cette vie de globe-rouleur dans une camionnette au confort moins rudimentaire qu’il n’y paraît. Entre tutos d’astuces, de déco et de bricolages pour améliorer son intérieur de nomade et carnets de route avec force de paysages époustouflants, le hastag vanlife compte près de 10 millions de publications.
Les blogs et sites spécialisés aussi sont légion, qu’ils soient fidèles au mythe (becombi.com) ou généralistes (vanlifemag.fr). Reste à savoir si ces nouveaux adeptes et ces aspirations de circonstance sauront réinjecter du rêve à cette Van life qui carbure tout de même, pour une bonne part, à la nostalgie. Ce qui n’a pas échappé au constructeur allemand, qui annonce pour 2023 une version électrique de son mythique bus, prenant soin de l’habiller d’une carrosserie aux lignes rondes, pour un effet néorétro assumé.
Le livre
Dans «Génération(s) VW Combi, de 1950
à nos jours», (Editions Casa 2020), Eric Grandsagne, par ailleurs rédacteur en chef
du magazin Van Life, retrace l’histoire
du Volkswagen Transporter, témoigne de ses histoires personnelles et
donne la parole à d’inconditionnels fans de la camionnette aménagée.