Ces constructions aériennes permettent de changer d'univers en un rien de temps.

1. Royal

Copenhague-Malmö (Danemark-Suède)

La construction Le pont de l’Øresund est né en l’an 2000, après une gestation de 40 mois. Avec ses 1092 mètres suspendus par haubans (sur les 7845 totaux), il détient un record mondial. Il achemine autos et chemins de fer, mais ni piétons ni vélos.

D’un bord à l’autre Avec ses deux rampes de plus de 3 km chacune, un tunnel et une île artificielle, le pont relie la capitale danoise à la suédoise Malmö, et par conséquent l’Europe continentale à la péninsule scandinave. Un rapprochement royalement scellé, puisqu’à peine le dernier segment posé par la grue flottante, le 14 août 1999, Victoria de Suède et Frederik du Danemark s’échangeaient un bec princier sous les haubans. Même le nom de l’édifice clame la bonne entente: le danois Øresundbroen et le suédois Öresundsbron ont accouché de l’hybride Øresundbron (Øresund ou Öresund étant le nom du détroit). La série policière suédo-danoise Le Pont complète le tableau avec notre bel Øresundbron en majesté. Sauf que dans le premier épisode, un affreux cadavre apparaît, étendu au milieu de l’autoroute suspendue. Brrr.

2. Conquérant

Hongkong-Zhuhai-Macao (Chine)

La construction Inauguré par Xi Jinping le 23 octobre 2018, il est LE plus grand pont maritime du monde: 55 km de long comprenant un tunnel sous-marin (pour laisser passer les bateaux en surface) et 4 nouvelles îles. La réalisation de l’édifice apte à résister contre les tremblements de terre et les typhons durant 120 ans a causé la mort de 10 personnes et en a blessé plus de 600. Le chantier a 17 milliards de dollars a duré près de neuf ans. Sa belle courbure a été dictée par les courants marins.

D’un bord à l’autre La Chine étire ce ruban pour mieux intégrer Hongkong, ancienne colonie britannique, et Macao, ancienne colonie portugaise, devenues Régions administratives spéciales depuis leur rétrocession à la Chine. Voici donc Zhuhai, province de Guangdong,
l’une des premières zones économiques spéciales des années 1980 et destination touristique très courue, à une demi-heure de Hongkong. Macao, la «Las Vegas asiatique», s’est aussi rapprochée. La Chine communiste de Xi Jinping bétonne ainsi sa présence dans le delta de la rivière des Perles, contrôlant de toujours plus près l’autonomie de Hongkong.

3. Optimiste

Mozambique-Tanzanie

La construction Baptisée Pont de l’Unité (Daraja la Umoja en swahili), cette rampe de 720 mètres de long et de 13,8 de large jetée sur la rivière Ruvuma entre Negomano (Mozambique) et Mtambaswala (Tanzanie) sera longtemps resté à l’état de projet: les deux pays en parlaient déjà en 1975, sitôt après l’indépendance du Mozambique et alors que Nyerere menait sa politique de collectivisation de la Tanzanie à la chinoise. Mais ensuite, conflits et pauvreté croissante n’en ont guère fait une priorité. Les travaux réalisés par un consortium chinois commencent en 2005 et s’achèvent en 2010.

D’un bord à l’autre Derrière le pont sur un fleuve qui se franchit sinon en ferry, il y a l’envie des deux pays de développer la région, et d’ouvrir un nouveau corridor entre l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe. Pour améliorer la route qui mène au pont (peu engageante et donc peu fréquentée), le Mozambique, en 2017, a souscrit un gros emprunt au Fonds africain de développement. Les écologistes qui craignent une atteinte à la réserve Niassa juste à l’ouest du pont ne sont pas emballés. On ne sait ce que pensent les éléphants.

4. Fondateur

Amérique du Nord-Eurasie (Islande)

La construction On ne peut pas dire que le Pont au milieu des continents (Brú milli heimsálfa en islandais) soit beau. Depuis 2002, cette passerelle de fer enjambe de ses 15 mètres la faille des Fées sur la péninsule de Reykjanes soit, en langage plus scientifique, la dorsale médio-atlantique entre les plaques tectoniques d’Eurasie et d’Amérique du Nord. Ce trait d’union intercontinental est encore appelé Leif the Lucky’s Bridge, en hommage à Leif Erikson, Islandais aventureux, qui découvrit l’Amérique du Nord au début du XIe siècle.

D’un bord à l’autre On ne peut pas dire – non plus – que le fossé surplombé donne le vertige. Quoique. Dans ce lit de sable basaltique, chaque jour depuis sa naissance il y a vingt millions d’années, l’Islande grandit. Malgré l’austérité lunaire des roches, la terre vit: entre les deux bords du pont, l’écartement croît de 2,5 cm par an. Le noir canyon originel et son système de fissures perpendiculaires traversent toute l’île. Mais c’est ici, à 60 kilomètres au sud-ouest de Reykjavik, que l’on peut le chevaucher. Une visite aussi fondamentale mérite bien un certificat: à Reykjanesbær, le Centre d’informations le délivre.

5. Européen

(Roumanie-Bulgarie)

La construction Il a été baptisé le Pont de la nouvelle Europe. Rien de plus normal quand on sait qu’il a été largement financé par l’Union européenne (106 mios d’euros sur 282) et construit par une entreprise espagnole. Long de près de 2 km, ce pont routier et ferroviaire entre Calafat (Roumanie) et Vidin (Bulgarie), inauguré en juin 2013, n’est que le deuxième entre les deux pays sur les 650 kilomètres de Danube qu’ils se partagent. Neuf ans de discussions puis six de travaux, pour 4 voies autos, une ferrée, des pistes cyclables et piétonnes..

D’un bord à l’autre Ce point de passage, sur un Danube impérial de 1 km 300 m de large, est un maillon vital pour l’Union européenne sur un axe courant de l’Europe du Nord et du Centre à la Grèce, via la Turquie. Il ouvre aussi la voie à de nouveaux débouchés pour les entreprises des deux côtés du fleuve. Il devrait en outre vivifier les échanges entre la petite ville portuaire roumaine de Calafat (20 000 habitants) et la plus importante Vidin (55 000), carrefour historique de différentes cultures et religions depuis l’époque romaine à travers le Moyen Age et l’empire ottoman. Un dépaysement de part et d’autre pour 6 euros de péage en auto.

6. Stratégique

Péninsule de Crimée-Russie

La construction Il ne manque pas d’ambition, le pont de Poutine! Unissant la péninsule de Kerch en Crimée à l’ouest, à celle de Taman, dans le kraï de Krasnodar en Russie à l’est, ses 18 km inaugurés en mai 2018 en font le plus long de Russie et d’Europe. Sa réalisation à travers le détroit de Kerch, entre mer Noire et mer d’Azov, est russe: deux ans de travaux, jour et nuit, avec 20 navires et 5000 ouvriers… Les coûts? 3 milliards d’euros pour une structure posée sur 595 piliers soutenus par 7000 pieux, permettant l’envol d’une autoroute à 4 pistes et de deux voies ferroviaires. (Celles-ci seront achevées fin 2019, mais ont dû être déviées à la suite de la découverte d’un site antique hellénique.)

D’un bord à l’autre Relier la Crimée à la Russie, c’est matérialiser l’annexion, en mars 2014, de la péninsule ukrainienne par la Russie. L’Ukraine avait alors bloqué toutes les voies de transport vers la Crimée. Maintenant, les arches du pont interdisent le passage des navires de plus de 33 mètres de haut, empêchant une partie du trafic maritime ukrainien entre les régions du pays à l’est de la Crimée et celles de l’ouest. Un coup d’œil à une carte, et on voit à qui profite le pont.

7. Patchwork

Washington-Oregon (USA)

La construction Sur le pont Astoria-Megler, on se croirait au manège, sur les montagnes russes: plat et en béton au milieu, tandis que près des berges, une structure à poutres en treillis s’élève pour laisser passer les bateaux. La rivière Columbia qu’il franchit est ici d’une largeur extrême de 6 km, car toute proche de son embouchure dans le Pacifique. A marée basse, son centre se retrouve à sec… Rampes et raccords s’ajoutent à l’ensemble, mais la partie la plus photogénique est bien le treillis d’acier vert menthe. Avec 751 m, le pont construit entre 1962 et 1966 a longtemps été le plus long du monde avant d’être, en 1991, dépassé par le japonais Ikitsuki.

D’un bord à l’autre Depuis 1926, la US Highway 101 court le long de la côte ouest, frôlant le Canada et descendant jusqu’à Los Angeles, mais il fallait prendre un bac sur la Columbia à la frontière entre les Etats de Washington – le très vert – et de l’Oregon – home du castor. Si deux pistes autos et deux voies cyclables permettent de franchir le fleuve, on n’y a accès à pied qu’un jour par an, lors du Great Columbia Crossing.

8. Ambitieux

El Qantara (Canal de Suez, Egypte)

La construction Une inclinaison de 3,3% au maximum – accessibles aux petits moteurs – et 70 mètres de hauteur – pour laisser passer les bateaux: devant un pareil défi, les ingénieurs du plus grand pont d’Egypte n’ont pas eu d’autre choix que d’allonger l’édifice total, avec des avant-ponts, jusqu’à 3,9 km… Le pont haubané (la portée principale) lui aussi a représenté un beau challenge: comme les deux pylones devaient évoquer des obélisques, il fallait qu’ils soient exceptionnellement hauts et fins.

D’un bord à l’autre La presqu’île du Sinaï a été longtemps mal reliée à l’Egypte. Les ferries qui obstruaient le trafic fluvial avaient en outre de faibles capacités. Puis, le Japon est intervenu et dans le cadre d’un projet d’aide au développement a assumé le 60% des 230 millions nécessaires. Le 9 octobre 2001, Hosni Moubarak pouvait inaugurer le Pont de l’amitié égypto-japonaise surnommé aussi Pont Moubarak de la paix jusqu’à la chute de l’Egyptien en 2011. Depuis, on en est resté au Pont de la paix ou, plus simplement encore, au Pont du Canal de Suez.

9. Dansant

Millenium (Londres)

La construction 5000 personnes peuvent s’y presser en même temps. Mais l’impression est plus belle, beaucoup plus belle, quand on a le Millennium Bridge pour soi, à l’aube ou tard dans la nuit. La passerelle piétonne de 325 mètres et ses ailerons d’acier donnent le sentiment de danser sur la Tamise.

D’un bord à l’autre Difficile de dire quelle vue est la plus saisissante: vers le Nord, vers la City et ce monde d’hier où rayonne la coupole de la cathédrale Saint-Paul ou vers le Sud, le monde de demain avec en figure de proue le bâtiment en briques de la Tate Modern…
Il n’y avait plus eu de nouveau pont dans le centre de Londres depuis un siècle quand a été inaugurée en juin 2000 cette Lame de lumière signée Norman Foster. Deux jours plus tard, le pont était déjà fermé! En cause: des oscillations latérales imprévues, et inquiétantes en regard des 18,2 millions de livres qu’avait englouties le projet. Deux ans et 5 millions plus tard, le Wobbly Bridge, comme il fut surnommé (le pont branlant), équipé d’un nouveau système d’amortissement, était à nouveau praticable.

10. Séculaire

Bad Säckingen (D)-Stein (CH)

La construction 80 centimètres… C’est de cette modeste longueur que ce pont couvert sur le Rhin de 203,4 mètres dépasse celui, mondialement célèbre, de Lucerne. Elle fait de cette passerelle de bois le plus long pont couvert d’Europe. Mentionné pour la première fois en 1272, détruit à plusieurs reprises au cours des siècles par les guerres ou les crues, il a pris sa forme actuelle en 1699

D’un bord à l’autre D’un côté l’Allemagne, de l’autre la Suisse? Une géographie politique aussi claire n’a de loin pas toujours existé. En 1801, le pont a appartenu brièvement au Duché de Modène, et plus tard, au titre d’ancienne possession habsbourgeoise, il a fait partie du Grand-Duché de Baden. Aujourd’hui, il est propriété de la ville allemande de Bad Säckingen, mais comme le Rhin est une frontière naturelle internationale, une bande blanche traverse le pont en son milieu. En 2014, des travaux de restauration ont révélé que les gros piliers de pierre avaient été garnis d’explosifs par l’armée suisse. Une attaque et l’édifice en bois était pulvérisé… Dernière bizarrerie: jusqu’à 1978, les autos avaient le droit de rouler sur les vieilles poutres.