Pour la maison Chanel, le bouton va bien au-delà de sa fonction de fermoir... Il est ornement, ciselé avec art par le parurier d'exception desrues. Visite dans l'antre secret.

Lorsqu’on ouvre, l’un après l’autre, les tiroirs à boutons Chanel des archives de la maison Desrues, on s’étonne de l’incroyable diversité. Puis on se souvient qu’au-delà du vêtement, de la silhouette, du tissu précieux, le petit accessoire qui ferme une poche ou une veste fait lui aussi partie des codes qui font l’essence de la marque. Qu’il soit timide en résine pastel, carrément frondeur en métal doré, qu’il revendique un soupçon d’esprit militaire ou se prenne pour un gourmand bonbon acidulé, chez Chanel, le bouton ne se cache pas. Mieux, il donne le rythme. Et insuffle à l’occasion un brin de folie sur une petite veste noire ou pose une touche de chic sur un tweed chamarré.

Sans cesse réinventé au fil des collections, le petit espace d’expression porte les emblèmes incontournables de la marque – camélia, tête de lion ou deux c entrelacés – et donne le la, comme un concentré de l’esprit de Mademoiselle, mélange de créativité et de tradition. Beau et imaginatif certes, mais aussi toujours rigoureusement utile, selon la règle édictée par Gabrielle Chanel elle-même, pour qui il n’y avait «pas de bouton sans boutonnière».


En diamètres assortis sur une veste de tailleur, nacrés le long d’un pantalon à pont, accumulés et superposés sur un modèle dessiné par Karl Lagerfeld ou encore posés sur un blouson de denim imaginé par Virginie Viard, les boutons ne sont jamais passés de mode. Et les pressions, velcros et autres fermetures éclair ne leur ont jamais fait de l’ombre, malgré leurs tentantes promesses de modernité. Toujours différents, surprenants, chics et rock à la fois, et aussi parfaits côté pile que côté face selon les exigences de la maison, ces emblèmes de raffinement sont même devenus iconiques. Objets de convoitise pour les fibulanomistes – les collectionneurs de boutons – ils inspirent même les autres branches de la marque, comme l’horlogerie. La montre Bouton, sortie en 2020 dans la collection Mademoiselle Privée, en est un flamboyant exemple, à travers une manchette façon tweed rehaussée d’un bouton de nacre s’ouvrant sur un cadran orné des motifs fétiches de la marque que sont la croix byzantine, le camélia et le lion.

Un savoir-faire presque centenaire

Les boutons, mais aussi les ornements de sac, de chaussure ou de bijoux fantaisie (par opposition à la joaillerie et ses matières précieuses), sont la spécialité de la maison Desrues. Première entreprise de métiers d’art rachetée par Chanel en 1985, ce parurier d’exception, fondé en 1929, a quitté le cœur bouillonnant de Paris en 1995 pour la très bucolique campagne de l’Oise, au nord de la capitale. C’est qu’il en faut de la place pour fabriquer ces petites merveilles! Surtout depuis que cet artisanat s’est entiché de nouvelles technologies. Car si les tabletiers d’antan penchés sur leur ouvrage chantonnaient et estampaient dans de petits ateliers, les faiseurs de rêve d’aujourd’hui poussent plus loin les frontières du possible grâce à des outils un brin plus encombrants.


Heureusement, à Plailly, l’espace ne manque pas! Et l’interminable couloir du bâtiment de l’entreprise, qui compte aujourd’hui plus de 350 employés, grouille d’artisans en blouses blanches, de stylistes, de maquettistes… et d’ingénieurs. Pour lever le voile sur les étapes de fabrication, il faut pousser l’une des portes qui jalonnent l’immaculé corridor. Derrière l’une d’elles, Sylvain Peters, ancien maquettiste formé à l’Ecole Boulle, aujourd’hui directeur des collections de la marque et interlocuteur privilégié du studio Chanel, affiche sa passion. A lui de répondre aux envies de Virginie Viard, de transformer croquis et idées en réalités: «En tant que parurier d’exception, nous devons mettre tout notre savoir, créatif et technique, au service de la styliste, dit-il. Nous devons nous immerger dans sa créativité, entretenir un dialogue permanent avec ses équipes. Il s’agit de traduire et d’innover.»

A chaque collection, Sylvain Peters et ses équipes, elles aussi emportées dans le tourbillon des dix collections annuelles, ont un mois et demi pour fournir la palette de boutons qui orneront le prestigieux vestiaire. Et joindre tous les savoir-faire des artisans dans la fabrication de ce tout petit objet: «Il faut chaque fois apporter une vingtaine de modèles dans des diamètres et des couleurs différents. Soit une soixantaine de prototypes qui seront déclinés en milliers de boutons.»

Dans l’atelier de montage complexe, on parfait l’ouvrage à la main. Ici, chaque artisan applique la résine dans les interstices du métal puis la colore et la poudre pour donner naissance à ces pièces de la dernière collection Croisière.

La perfection, pas à pas

Pour leur donner vie, les étapes sont multiples: d’abord, le maquettiste crée un prototype, utilisant les techniques des bijoutiers, de manière manuelle ou numérique. Ledit prototype sera présenté puis retravaillé pour répondre très exactement aux attentes du studio: «Chaque bouton doit avoir son identité, se différencier de ce qui a été fait jusque-là. Mais il doit aussi refléter l’esprit Chanel et celui propre à une collection», explique Sylvain Peters. Quand le modèle est approuvé, la fabrication des séries commence, sur un moule créé grâce à la première maquette.

Dans l’atelier moulage, étain ou laiton sont coulés dans une «galette» en silicone vert pour donner vie à plusieurs pièces. Une fois sèches et détachées, celles-ci sont alors travaillées une à une pour être polies, ébarbées avant que leur surface soit soigneusement homogénéisée jusqu’à la perfection. Le moindre petit défaut vaudra à la pièce d’être écartée. Direction ensuite l’atelier traitement de surface pour protéger la matière brute de la corrosion et la faire durer dans le temps, puis lui donner sa couleur définitive, selon diverses techniques comme la galvanoplastie (pour plaquer la pièce) ou le thermolaquage (pour la peindre).

Dernière étape fondamentale, le montage ou montage complexe, où le bouton se révèle dans toute sa beauté grâce au strassage, au résinage, au nouage de cuir, ou encore au rajout de plumes. Dans cet atelier où chaque petit bouton se fait une beauté entre des mains expertes, l’attention est grande et le contrôle qualité permanent. Une fois le petit bijou terminé, cap sur le saint des saints pour l’ultime étape: la couture. Ne reste plus alors qu’à laisser les petites mains des ateliers de couture fixer ces trésors à leur juste place. Comme un point final, juste avant de les faire entrer dans la lumière sur les hanches ou les poitrines des belles éprises du label double C.

Coulé dans des galettes de silicone, l’étain ou le laiton donne vie au bouton et au support qui lui permettra d’être cousu sur la pièce.