Longtemps ignorée comme destination gourmande, la belle province regorge de surprises et Montréal se profile comme la nouvelle capitale gastronomique d'Amérique du Nord.

Tout cela est un peu injuste, quand on y pense. Alors que la plupart des grandes villes du monde ont un monument qui les identifie au premier regard, Montréal se retrouve soudain orpheline. Pas un simple pont, pas une petite statue, ni même un immeuble qui ferait s’allumer une ampoule au-dessus de nos têtes: nous sommes à Montréal, bien sûr. Il y a certes le stade olympique et son étrange tour inclinée, mais sa construction chaotique et les nombreux déboires qui ont jalonné son histoire ne sont pas forcément sources de fierté pour les locaux…

Mais ce qui manque architecturalement à la capitale du Québec est fort heureusement mille fois compensé par un autre élément, bien plus précieux ma foi: une scène gastronomique en pleine ébullition. Chefs qui montent, vignerons engagés, artisanes passionnées, il n’y a pas que Paris et New York qui préparent les prochaines surprises du goût. Ici, à 6000 kilomètres du Vieux Continent, des «révolutions tranquilles» se mettent en marche, comme la Belle Province sait bien les faire, sans tambours ni trompettes, mais avec humilité et résilience.

Mais la première chose à faire avant de partir à la découverte des saveurs québécoises est assez simple: tordre le cou aux idées reçues. Du genre: «Tu vas manger de la poutine du coup?» Même si certains chefs ont fait – et continuent de faire – le buzz en réinterprétant ce plat calorique et légendaire, à la manière du chef Martin Picard avec sa poutine au foie gras (restaurant Au pied de cochon), la gastronomie de ce territoire grand comme… 37 fois la Suisse ne se résume pas à des frites, du fromage en grains et de la sauce brune.

Un tour au marché

Pour prendre le pouls gourmand d’une ville, et au passage mieux connaître ses habitants, rien ne vaut une petite déambulation dans les marchés couverts, et Montréal ne déroge pas à la règle. Situé au cœur du quartier de la Petite Italie, au croisement de deux lignes de métro, le marché Jean-Talon est vibrant d’activité tout au long de l’année – malgré le froid polaire qui peut y régner durant l’hiver. Au gré des saisons, on y découvre ainsi l’amour des locaux pour les melons d’eau (les pastèques) ou le blé d’Inde (le maïs), la diversité de leurs tomates et poivrons, et leur curiosité pour les épices du monde entier – le magasin Epices de cru est tenu par une célébrité locale, Ethné de Vienne, auteure de plusieurs livres de cuisine. A l’automne, ce sont les montagnes de citrouilles et potirons de toutes sortes qui nous rappellent qu’ici aussi, on fête Halloween dignement. 

Tout autour, des échoppes et bistrots ont naturellement essaimé, gentrifiant progressivement tout le quartier. Ainsi, la mythique épicerie Milano, sur le boulevard Saint-Laurent – l’adresse où tout amoureux de la cucina italiana trouvera forcément son bonheur – s’est agrandie et de nombreuses enseignes gourmandes et pointues sont venues au fil des ans assouvir cette nouvelle faim de bons produits locaux. Les amateurs de vin nature ou de microbrasserie risquent ainsi d’éprouver un syndrome de Stendhal face au choix gargantuesque offert chez Peluso (la beauté et l’originalité des étiquettes des vins et des bières québécoises!), tandis que les becs à sucre devront veiller à ne pas faire exploser la limite de leur carte de crédit en pénétrant chez Eclats de Choc. Un temple à la gloire de la fève, qui produit ses propres plaques, là encore glissées dans d’éclatants contenants. Une attention aux détails et au design, en plus du goût, que l’on retrouve un peu partout, comme une marque de fabrique québécoise. Au milieu du choix dithyrambique de douceurs canadiennes et internationales, une seule plaque helvétique: L’Esterre 80 de la maison Orfève – millésime 2022 pour être plus précis. 

Attablée au Café Saint-Henri qui fait face au marché Jean-Talon, Gwenaëlle Reyt – Lausannoise d’origine qui a émigré au Québec – est devenue une spécialiste montréalaise de la gastronomie locale. Son travail de thèse porte sur les restaurants à Montréal entre 1960 et aujourd’hui et leur rôle dans la construction des identités culinaires québécoises. Elle donne par ailleurs, à l’université, un module intitulé «tourisme et loisirs gourmands». «Les seuls restaurants étoilés se trouvent à Vancouver et Toronto, depuis 2022, explique-t-elle. A Montréal et plus largement au Québec, certains chefs aimeraient voir le guide Michelin dans la province, mais cela ne fait pas l’unanimité. Mais même sans guide, la scène gastronomique locale est très innovante et dynamique.» Fermes urbaines, toits végétalisés, vignes et ruches, la ville redécouvre une certaine idée du terroir de proximité. «Depuis les années 2000, on voit une renaissance des produits artisanaux et locaux au Québec. On les retrouve de plus en plus sur les menus des restaurants de Montréal, qui essaie de se placer comme la nouvelle capitale gastronomique d’Amérique du Nord», évoque la jeune femme.

L’érable, cette star versatile

Mais parler de délices, c’est évidemment et avant tout évoquer la star locale, le sirop d’érable. Lui aussi, notamment grâce aux nouvelles générations qui reprennent des érablières, subit un rafraichissant lifting, se retrouvant dans des petits plats soignés, et non seulement sur des pancakes. Sur le pas de porte de la petite boutique-atelier du Domaine des 15 lots, dans le quartier de Maisonneuve, Nathalie Simoneau accueille ses visiteurs avec le sourire. Chaque printemps – tant qu’il gèle encore la nuit – elle et sa petite équipe récoltent l’eau d’érable sur les 4500 arbres de son domaine. Doré, ambré ou foncé, on découvre que le sirop d’érable peut être dégusté à la manière d’un vin. Pâtissière de formation ayant travaillé pour de grands hôtels et restaurants, elle a ouvert sa petite échoppe en 2019. «Je vendais du sirop d’érable à mes amis et ceux-ci me disaient que nous faisions le meilleur sirop d’érable, alors j’ai décidé de le commercialiser!» Elle continue de proposer ses pâtisseries, où le sucre a été totalement remplacé par le précieux nectar. Rire franc et gouaille, Nathalie Simoneau arrive tout de même à détailler les dangers qui guettent l’avenir de l’acériculture, changement climatique en tête. «À l’érablière autant que derrière les fourneaux, je préserve et je mets en valeur les traditions tout en tentant de réduire au maximum notre empreinte écologique.…»

Il suffit de faire quelques kilomètres depuis le centre-ville pour réaliser que Montréal est bien entourée… A 1 heure de route, à Rigaud, la célèbre sucrerie de la montagne et son patriarche barbu – Pierre Faucher, une star locale – accueillent goulûment les visiteurs qui souhaitent connaître tous les secrets de l’érable. Comme une capsule temporelle qui évoque le Québec de carte postale, fait de grosses marmites en cuivre, de cabanes en rondins et de chemises à carreaux. Ici, c’est soupe aux pois, jambon au sucre, omelette soufflée et airs d’accordéon. Et la garantie de repartir le ventre plein. 

De manière générale, la surprise provient du fait qu’il n’est pas nécessaire de faire des heures et des heures de route pour avoir un bel aperçu des richesses du terroir québécois. Plus à l’est, dans les bien-nommés Cantons-de-L’Est, ce sont les vergers, les microbrasseries et les fromageries qui s’enchaînent. On s’arrêtera – par exemple – dans le petit village de Sutton pour déguster une pinte d’IPA dans la très belle Sutton Brouërie ou un vin nature chez La Réserve Naturelle. 

Car oui, le raisin pousse bien – de mieux en mieux – au sud du Québec, comme en Montérégie. Alors on n’hésite pas à tester des cépages autochtones, comme le complexe Frontenac noir (rouge) ou le délicat Seyval (blanc). On est ici peut-être suffisamment loin des vignobles bordelais ou bourguignons pour ne pas se gêner d’oser. Saveurs, méthodes, design des bouteilles, le vin made in Québec tente de se démarquer du «classicisme» à la française. 

C’est d’ailleurs peut-être cela, la spécificité de la gastronomie québécoise: il lui a fallu apprendre à prendre ses distances de la cuisine made in US façon fast-food (tout en y empruntant une certaine audace), sans essayer de reproduire ce qui se fait en France. Un travail d’équilibrisme, en somme. Ça tombe bien, le Cirque du Soleil est né à Montréal. 

Nos adresses

Loger

Au Fairmont Reine Elizabeth, à Montréal. Idéalement situé downtown, connecté à la gare centrale, le Reine Elizabeth abrite aussi le restaurant Rosélys, le café Kréma et un Marché Artisans. 

Manger

Au Foxy, à Montréal. Ambiance rôtisserie chic garantie! Ici, tout est cuit au feu, qui fait intégralement partie du décor. Les serveurs se feront un plaisir de vous raconter l’histoire de chaque légume, fromage ou morceau de viande (forcément tous locaux) de vos plats.


Au Annette bar à vin, à Montréal
. Situé dans le quartier de Rosemont, prochain quartier à se gentrifier, c’est le petit dernier bistrot du chef Marc-André Jetté et de sa compagne Mila Rishkova, connus pour leur restaurant Hoogan & Beaufort et leur boucherie Edouard et Léo. Pâté de canard en croûte, légumes marinés ou champignons frits, tout est délicat et issu du terroir québécois.

L’Espace Old Mill, dans les Cantons-de-l’Est. Star de la télé, Jean-Martin Fortier n’en finit pas de se battre pour une agriculture plus durable et accessible. Ici, la plupart des légumes proviennent du jardin attenant et l’équipe met en avant plus d’une trentaine de producteurs de la région, pour une expérience champêtre globale. 


Le Coureur des Bois, à Beloeil.
La cuisine de Jean-Sébastien Giguère vaut évidemment le détour pour sa manière de sublimer les produits locaux tout simples et de saison et – cerise sur le gâteau – l’établissement possède l’une des plus belles caves à vin du Québec. 

Déguster

Un café au Crew Café. En plein downtown Montréal, c’est l’endroit le plus spectaculaire où venir prendre son shot de caféine. L’immeuble majestueux accueillait autrefois une banque. Presque rien n’a changé, les macchiatos et expressos ont simplement remplacé les lingots d’or.


Les fromages de l’abbaye de Saint-Benoit-du-Lac.
Dominant le lac de Memphrémagog, le monastère mérite le détour pour sa boutique proposant différents produits façonnés par les moines: cidre, compote de pommes et – surtout – leurs fromages. Fontina, bleu ou «fromage suisse», il va falloir goûter pour se faire une idée. Dommage toutefois que les infrastructures où ces produits sont fabriqués ne soient pas accessibles. 


Le vin du vignoble Côte de Vaudreuil.
Frontenac, Marquette, Seyval… On se laisse surprendre par les cépages autochtones. Si le vin nature est en vogue au Québec, Serge Primi a opté pour une voie plus classique. On pensera à déguster son Côte Rouge Réserve, assemblage de Frontenac rouge et de Marquette.