Matières biosourcées. filets de pêche recyclés... Les horlogers partent à la rescousse des océans en réalisant des montres avec des matériaux (plus) respectueux de l'environnement. Immersion dans l'heure écoresponsable.

Vous avez évidemment entendu parler du septième continent, cette «grande zone d’ordures du Pacifique Nord» (GPGP pour Great Pacific Garbage Patch)… Voilà donc 270 000 tonnes de déchets plastiques, dont on suppute qu’elles occupent une surface de 3,5 millions de km2. Ce vortex de détritus flottant entre Hawaï et la Californie, symbole d’une surconsommation débridée alliée à une mauvaise gestion des déchets, témoigne de la difficulté à prendre en main la catastrophe écologique qui se dessine. Découvert en 1997 par l’océanographe américain Charles J. Moore, le territoire poubelle prouve combien il est urgent de lutter contre la pollution des mers et de préserver cette ressource naturelle en danger.


Evidemment, dans ce contexte où le plongeur a davantage de chances d’observer des sacs en plastique que des poissons dans les mers, les marques horlogères se sont vite senties interpellées. Combien d’entre elles n’ont-elles pas mis en avant leurs prouesses techniques en évoquant l’exploit sous-marin, avec ce que cela implique en matière de précision ou d’étanchéité? Beaucoup d’ambassadeurs, belle toquante au poignet, ont posé en combinaison néoprène, prêts à explorer les profondeurs. Alors quand, aujourd’hui, il est question de «prise de conscience collective», de «sauver les océans», lesdites maisons horlogères, en priorité celles qui ont fait des montres de plongée une spécialité historique, ont retroussé leurs manches.


Les liens avec la mer ont évolué. Il y a quelques décennies, il s’agissait de pallier les attentes des plongeurs professionnels, de répondre au cahier des charges des marines nationales, d’accompagner les plongeurs dans les abysses (où jusqu’à la bouée, c’est selon). Désormais, il faut épauler les chevaliers des mers dans cette croisade qui consiste à comprendre précisément ce qui se passe, à esquisser des débuts de solutions et à renseigner, en temps réel, le grand public sur l’état des océans. «La collaboration est la clé, insiste Jean-Marc Pontroué, à la tête de la marque Panerai, dont l’histoire est si intimement liée au monde marin. Avec la COI-UNESCO nous avons développé la «Panerai Ocean Conservation Initiative», une campagne internationale d’éducation agissant auprès de 100 universités dans le monde afin de montrer aux étudiants comment les marques de luxe, comme la nôtre, peuvent jouer un rôle important en s’engageant activement en faveur du développement durable et afin de sensibiliser des milliers d’étudiants à l’importance de l’océan. L’océan et les sciences océaniques sont trop souvent négligés dans les discussions, or celui-ci joue un rôle fondamental dans l’équilibre des écosystèmes.»


Concrètement, cet engagement des marques horlogères sensibles à la cause se retrouve au poignet des amateurs de montres, au travers de modèles qui intègrent des matériaux rescapés des mers, comme en attestent les exemples photographiés ci-contre. La démarche reflète de multiples contacts avec des ONG spécialisées, des partenariats avec des fondations, une série d’actions concrètes sur le terrain et parfois aussi une partie des bénéfices de certaines pièces reversées pour la défense d’espèces animales menacées. La liste des initiatives est longue comme une file d’attente devant la boutique qui propose une série limitée.

Une vague qui monte

Reste que l’enjeu est complexe, pour l’univers du luxe. Le client d’une marque a beau comprendre que l’océan, poumon de la planète, représente un défi fondamental, tant écologique qu’économique (10 à 12% de la population mondiale dépend des revenus de la pêche et de l’aquaculture, sans oublier les activités touristiques et les échanges commerciaux), il n’en veut pas moins une montre qui en jette. Nouvelle prise de conscience, certainement, mais désirabilité aussi… peut-être surtout. Dans ce contexte, les technologies de valorisation des matières à la dérive sont clés. Et commencent par le vocabulaire: on parle de «régénération» et pas de «déchets recyclés». Nuance. On parle de cercle vertueux, dans une logique où rien ne se perd, tout se recrée… en mieux! Panerai est l’un des premiers à s’être positionné sur ce créneau avec son concept «Ecologico». L’aventurier Mike Horn, ambassadeur maison, avait mis la marque sur cette voie il y a près de 10 ans. Aujourd’hui, la marque italienne se distingue non seulement par son engagement et sa recherche technologique, mais aussi en appliquant les principes de l’innovation ouverte dans l’horlogerie. Elle dévoile son réseau de partenaires recyclant les matériaux, ceux qui ont, entre autres, permis de réaliser une montre dont 52% de son poids est constitué de matière recyclée.


Autres initiatives, autres maisons: Breitling utilise du fil Econyl®, constitué en partie de filets de pêche récupérés, pour fabriquer des bracelets de montres. «Ils ont un avantage, précise Georges Kern, le patron de la marque. Lorsqu’ils seront arrivés en fin de vie, ils pourront être recyclés à leur tour et transformés par exemple en t-shirts, selon un schéma d’écologie circulaire.» Dans la même démarche éthique, citons aussi les bracelets, boîtiers ou cadrans à partir de bouteilles en PET collectées dans et sur les eaux. On les retrouve chez Maurice Lacroix, Oris ou Carl F.Bucherer. Autant de maisons qui réalisent que la nouvelle normalité passe par le luxe engagé.

Les filets, un trésor qui a de l’avenir

Cette nouvelle approche n’est pas le seul fruit des horlogers historiques. De nouveaux venus dans le secteur tentent aussi d’imposer l’upcycling au fondement même de leur démarche. Ainsi la jeune marque française Awake se lance avec la mission de «recycler les matières du passé pour créer les montres du futur». Animée par un collectif militant et créatif, la marque fait fort en matière de recherche technologique.

L’an dernier, elle a édité une série limitée entièrement fabriquée à partir de filets de pêche recyclés. Six mois de recherche et de développement avaient été nécessaires pour obtenir un matériau offrant la solidité et l’esthétique voulues. Lilian Thibault, fondateur d’Awake, avait expliqué ce choix de vieux filets de pêche ainsi: «Ils symbolisent deux fléaux: 22 000 tonnes de déchets plastiques sont déversées en mer chaque jour et 650 000 animaux marins se retrouvent tous les ans piégés dans des filets abandonnés.»


Sans doute ne sommes-nous qu’au début de cette ère où le précieux ne se mesure pas seulement en carats, mais aussi au poids du symbole, de l’engagement et de l’émotion qu’il véhicule.