Fasciné par l’art japonais de l’origami, le designer et architecte belge se révèle dans ses créations d’univers fantasmagoriques.

Avec son long manteau aux motifs colorés, son pantalon flou inspiré des codes vestimentaires japonais, Charles Kaisin se laisse aisément repérer dans la foule. Connu pour ses installations artistiques en nuées d’origami, le designer de 53 ans aime jouer au scénographe: il organise des dîners dits surréalistes dans des lieux insolites, le plus souvent pour les invités de grandes marques. Les univers qu’il crée relèvent de la féérie et les heureux élus se croient projetés chez Alice au pays des merveilles. En maître de cérémonie, Charles Kaisin guide les convives dans un voyage sensoriel, où les interventions poétiques et littéraires s’entremêlent  aux plats. Le créateur multitalents butine à toutes les sources d’inspiration, avide aussi de plaisirs gourmands, telle une tasse de vrai chocolat chaud…  

Des dîners mémorables à partager?

J’ai créé un dîner pour un passionné d’art au Palazzo Vecchio (photo) à Florence. Un orchestre symphonique, puis Katy Perry ont  joué pour 280 invités. Au Grand Bellevue à Gstaad, pour Mazda, qui sponsorise les Swiss Open, j’ai fait découvrir l’excellence du savoir-faire japonais à travers un dîner expérienciel sur le thème de l’art du pliage mettant tous les sens en éveil.

Certains de vos dîners s’inspirent de Baudelaire. Un poème préféré?

Je me nourris beaucoup de lectures pour inspirer les thèmes de mes dîners. J’adore Baudelaire car ses écrits sont extrêmement denses. J’ai utilisé par exemple un poème où il parle de l’univers du luxe pour la création d’un hôtel au Maroc. J’aime utiliser les nombreuses références de ses poèmes, je les replace souvent dans mes dîners. Il y a un poème que je trouve très intéressant, c’est « Correspondances », des Fleurs du Mal (photo). Nous voyons le poète en le lisant, mais il pourrait en réalité être n’importe qui.

Votre œuvre la plus célèbre est Origami For Life (photo)

Nous avons imaginé un système où les personnes confinées pouvaient créer elles-mêmes de petits origamis à partir de journaux, magazines ou encore papiers cadeaux. Les pliages en forme d’oiseaux symbolisent la paix et la liberté : Le confinement ne doit pas être une raison pour arrêter de vivre. Au contraire, nous pouvons créer quelque chose de nouveau ensemble pour retirer du positif de cette situation. Nous avons pu, sur demande de la 1ère ministre de Belgique, exposer l’œuvre pour la fête nationale, pour symboliser la Belgique.

Un créateur chez lequel vous aimez
vous habiller? 

J’ai toute une collection de manteaux qui viennent de chez Walter Van Beirendonck (photo). Chaque année, il m’en dessine plusieurs sur mesure. J’apprécie aussi les pièces d’Issey Miyake, que j’ai rencontré à plusieurs reprises lorsque je vivais au Japon. Il réussit à tisser et plisser le pied-de-poule, il n’y a vraiment que les Japonais qui arrivent à faire ça !

Si vous deviez citer un personnage qui incarne votre univers?

Je trouve René Magritte impressionnant. Il est très cultivé, il a de vrais amis autour de lui. Tous dimanches, il réunit ses amis pour jouer aux cartes. Leurs tableaux respectifs sont accrochés au mur et au fil des parties, ils discutent et choisissent ensemble les titres à leur donner. Je trouve ce rituel très amusant ! J’aime aussi chez lui le fait de pouvoir interpréter ses tableaux de manières différentes. Ils ne sont pas une simple esthétique d’image très superficielle. Par exemple, le tableau qui s’intitule « La magie blanche » est très intéressant à analyser.

Une exposition que vous avez vue dernièrement à nous partager? 

J’ai adoré voir travailler ce maître japonais Takumi (photo) qui sculpte la voiture Mazda. J’ai trouvé ça très original, j’ai beaucoup aimé le fait qu’il donne à chacun la possibilité de travailler directement sur son modèle, de toucher la matière.

J’ai aussi beaucoup apprécié l’exposition d’Anthony Gormley. Il travaille la matière d’une manière singulière, comme une mise en œuvre. Les éléments sont créés dans le plâtre, puis coulés en bronze.

Un dessert favori?

J’aime tous les desserts! Je ne saurais choisir entre le merveilleux (ndlr: meringue enrobée de crème fouettée au chocolat), la forêt noire ou la tarte tatin (photo) accompagnée d’une boule de glace. C’est à tomber! 

Vous avez étudié l’architecture. Aux côtés de quel architecte auriez-vous aimé vous instruire?

J’aurais aimé aller travailler chez Le Corbusier. Je suis admiratif de son travail sur la proportion des couleurs, les « Polychromies ». D’après lui, il existait une différence de couleur entre l’échantillon et le rendu réel. Il va donc créer des palettes composées de papier-peint imprimé, puis publie un ouvrage avec les proportions conseillées entre les couleurs. Par exemple, si on a 70% de rouge, on peut mettre 20% de noir et 10% de blanc. C’est un outil incroyable car il est intemporel et parfaitement bien construit.

Si vous deviez créer votre propre dîner surréaliste?

On s’est marié en septembre avec mon partenaire et on a fait les choses assez librement. Le dîner s’est fait sous forme d’un walking dinner avec 300 personnes. On a fait différentes scènes qui représentaient un voyage immersif, sans forcément poser de limites. Des serveurs arrivaient avec un paysage sur les tables. L’idée était de recréer l’histoire d’Adam et Eve, de la revisiter à notre manière. Je souhaitais montrer comment transformer un tableau d’œuvre d’art de manière contemporaine. Rien que cette scène a nécessité une quinzaine de jours de préparation !

Quelle est selon vous la définition du mot « artiste »?

L’artiste se définit par le questionnement. Cela implique plusieurs choses. Tout d’abord, il ne faut pas avoir de préjugés. Deuxièmement, suivre les règles de l’éthique, l’écologie et se poser des questions sur ces thématiques. Il y a aussi l’idée d’être surpris et de surprendre. La perséverance entre aussi dans la définition. Ce n’est pas parce qu’une porte est fermée qu’il faut abandonner. Parfois, il faut passer par la fenêtre par exemple. Être artiste, c’est une démarche, une volonté, un questionnement actif. C’est aussi faire les choses différemment, avoir une singularité.